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Rencontre avec Zsuzsi Bánkuti

Adrien Kuenzy
28 juillet 2023

© Sabine Cattaneo

Pour la responsable de l’Open Doors du Locarno Film Festival, les horizons de la section n’ont fait que s’élargir au fil des ans. Un dialogue sur la manière de semer de nouvelles graines, en tissant des liens entre les cinéastes d’Amérique latine et des Caraïbes.

La section Open Doors a célébré son 20e anniversaire l’année dernière. Comment a-t-elle évolué ? Les objectifs initiaux ont-ils été atteints ?

Je dois dire que nous avons réalisé beaucoup plus que ce qui était prévu à l’origine. Et le programme a bien mûri au fil du temps. Au départ, il se focalisait sur une seule région du globe pendant un an. Et il s’agissait uniquement d’une plateforme de coproduction, donc très axée sur les affaires. Depuis 2016, le programme se concentre sur une zone pendant trois ans. Nous proposons au Locarno Film Festival des moments d’échanges et des programmes liés au développement de projets, de carrières et de mise en réseau, par le biais du Projects ’ Hub et du Producers ’ Lab et du nouveau Directors ’ Club. En 2019, des programmes de formation, conseil et réseautage tout au long de l’année ont également été ajoutés.

 

Quelles questions ont émergé lorsque vous avez pris la tête de la section en 2022 ?

J’en ai eu beaucoup, car il me tenait à cœur de répondre à toutes les exigences. Notre focus sur l’Amérique latine et les Caraïbes, jusqu’en 2024, est immense. Nous parlons de 22 pays, qui sont souvent considérés comme un ensemble homogène alors que ce n’est pas du tout le cas ! Je pense donc que mes premières questions visaient à identifier les principaux besoins tout en évitant les généralités. L’influence de l’Europe ou des États-Unis n’est pas non plus la même selon les territoires. L’Amérique centrale est par exemple beaucoup plus influencée par les États-Unis, et l’Amérique du Sud par l’Espagne et l’Europe.

 

Comment introduire les professionnel·le·s intégrant le programme sur le marché international ?

Au préalable, notre équipe artistique discute longuement avec chaque producteur·trice potentiellement intéressé·e par un projet. Il est essentiel pour nous d’offrir un matchmaking personnalisé pour chaque projet et chaque producteur·trice. Tous les genres sont représentés dans notre sélection.

 

Y a-t-il un décalage entre les attentes et la réalité lorsqu’une équipe arrive au festival ?

Bien sûr. Mais je pense aussi que chaque année, nous tirons des leçons précieuses. Nous travaillons avec des êtres humains, avec des artistes, alors oui, il y a toujours des surprises. On trouve aussi parfois un fossé entre un·e cinéaste et l’industrie internationale qui s’axe souvent sur le profit. Quand un ou une cinéaste n’a jamais été confronté·e à cet environnement, et qu’il ou elle entend des commentaires auxquels il ou elle n’est pas préparé·e, cela peut être difficile. Nous nous efforçons d’éviter ces situations pouvant être blessantes. Cependant, je crois qu’il y a toujours un moyen de présenter un projet de manière qu’il soit entendu sans perdre son essence et sa raison d’être. Nous restons très prudent·e·s. Nous expliquons les projets le plus rapidement possible à l’industrie, tout en invitant les professionnel·le·s les plus sensibles à cette région. Nous convions également des producteur·trice·s originaires de la région qui vivent en Europe, par exemple. Pour qu’ils et elles sachent vraiment donner leur avis, car je pense que c’est peut-être la chose la plus délicate. Il faut savoir que certain·e·s réalisateur·trice·s reçoivent des critiques pour la première fois de leur vie.

 

Open Doors a été créé en partenariat avec la Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Existe-t-il des lignes directrices ou des attentes spécifiques liées à ce soutien ?

Nous avons des objectifs à atteindre dans la perspective de soutenir le développement du cinéma et de la culture dans notre région d’intérêt. Ces objectifs concordent avec la DDC sur la base d’une proposition de projet de notre équipe, qui est étudiée et évaluée par la DDC même. Ces objectifs mettent donc en relation des buts dans le développement avec des objectifs artistiques. Nous devons rédiger un rapport et un plan d’action chaque année, et nous communiquons directement avec le ou la responsable de la culture et du développement et avec toute l’équipe au sujet de ce que nous faisons. Je pense qu’il s’agit d’une excellente collaboration, en fait, parce qu’ils nous aident également à établir des contacts dans les régions, par l’intermédiaire de leurs bureaux. Et les conditions de soutien de la DDC sont publiques. Le programme est aussi possible grâce à l’apport du festival même et des partenaires spécifiques à chaque édition.

 

Votre programme met-il également ces talents en contact avec des professionnel·le·s suisses ?

Le programme officiel s’adresse principalement aux invité·e·s du monde entier, mais je fais savoir au secteur suisse dès que possible si j’entrevois des collaborations potentielles, même si les coproductions entre la Suisse et ces pays ne sont pas si faciles à réaliser. Deux des membres de notre jury sont d’ailleurs suisses, grâce à notre collaboration avec visions sud est. Nous travaillons également en étroite collaboration avec trigon-film, le plus grand distributeur de ce type de films, avec lequel nous avons codistribué un long métrage l’année dernière pour célébrer notre 20e  anniversaire, en collaboration aussi avec neuf salles suisses de cinéma indépendant qui ont rejoint l’initiative en créant un programme de films soutenus par Open Doors auparavant. Nous collaborons aussi régulièrement avec plusieurs festivals suisses comme Winterthur Kurzfilmtage, Visions du réel ou le Festival international du film de Fribourg.

 

Cette année, vous avez choisi d’intensifier les discussions sur l’inclusion, l’accessibilité et la santé mentale au sein de l’industrie cinématographique. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Ces questions sont importantes, car l’industrie cinématographique peut être très toxique. La plupart des gens ne s’en rendent même pas compte. Comment faites-vous pour maintenir l’équilibre entre votre vie professionnelle et votre vie privée ? Car faire partie de cette industrie signifie travailler la nuit et le week-end. Je pense qu’il est primordial que la nouvelle génération comprenne que, dès le début d’une carrière, il faut se poser les bonnes questions pour créer un environnement sain. J’ai moi-même vécu un très grave burn-out il y a trois ans. C’est pour cela que je souhaite participer moi aussi aux tables rondes. L’objectif est de partager un maximum d’expériences pour générer des énergies nouvelles. Aussi, le thème principal de toute cette édition porte sur l’identité, qui est étroitement liée à la santé mentale. Notre intention est de mettre en lumière des personnes aux identités très différentes, par le biais de performances impliquant le public et de projections.

Biographie

À l’âge de 12 ans, Zsuzsi Bánkuti rêvait de devenir réalisatrice, mais elle a opté pour un diplôme en éducation physique. C’est au cours de ses études universitaires qu’elle est retombée amoureuse du cinéma : « Parce qu’il y avait beaucoup de bons cinémas d’art et d’essai autour de l’école à Budapest et qu’avec quelques amis, nous regardions des films tous les jours. » En 2000, Zsuzsi Bánkuti a commencé sa carrière dans le cinéma en tant que responsable de l’acquisition et de la programmation pour une société de distribution indépendante, Cirko Film, à Budapest. En 2007, elle est devenue responsable des acquisitions chez Szuez Film et a travaillé comme consultante pour des productions indépendantes. Début 2012, Zsuzsi Bánkuti a déménagé à Cologne pour devenir responsable des acquisitions à The Match Factory. Pendant huit ans, elle a supervisé la plupart des productions de films indépendants, les activités de vente, les festivals et la stratégie marketing, la production et le développement de films. En 2020, elle a créé le Cutting Edge Talent Camp, qui se concentre sur les nouveaux talents allemands pendant le Festival international du film de Mannheim-Heidelberg. Depuis 2020, elle travaille pour la section Open Doors du Locarno Film Festival, d’abord en tant que responsable du développement des talents et, depuis 2022, en tant que responsable de programme. Elle travaille également comme consultante en stratégie internationale pour le Doha Film Institute, le Torino Film Lab et Cinemart.

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