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Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?


10 février 2017

Je suis scénariste. Je ne sais pas compter. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai mis tant de temps à comprendre ce qui ne tourne pas rond dans l’encouragement du cinéma. Alors que tout est écrit noir sur blanc sur le site de l’Office fédéral de la culture. Les chiffres sont faciles à lire (ce qui est moins facile, c’est de les lire sans hurler). Je veux parler de l’aide au scénario.

A Hollywood, on part du principe que pour 100 scénarios écrits, on en produira 10. Et avec un peu de chance, un de ces dix films aura du succès. La règle fait sens : pour faire les meilleurs films, il faut choisir les meilleurs scénarios. Et pour pouvoir choisir, il faut qu’il y ait du choix. Les scénarios moins réussis prennent le chemin de la poubelle. Et même ceux-là ont d’abord dû être écrits. C’est comme ça que ça se passe à Hollywood.

Le monde à l'envers ?

Ici c’est le contraire : en 2015, l’OFC a octroyé deux fois plus d’aides à la production que d’aides au scénario. En termes hollywoodiens, cela signifie que pour 100 scénarios écrits on produit 200 films. Ce quota s’est un peu amélioré en 2016, mais la pyramide reste inversée. L’année dernière, 15 scénarios ont reçu une aide sélective, et 20 films une aide à la production. Et comme nous le savons, l’encouragement à l’écriture de traitement a été abandonné dans le courant de l’année. En 2015, il représentait tout de même 200'000 francs.

Sur les 20 traitements faisant l’objet d’une demande d’aide au scénario lors de la dernière séance de 2016, seuls 3 l’ont obtenu. Contre 5 des 14 demandes d’aide à la réalisation. On a donc dépensé 3,6 millions de francs pour la réalisation de films. Contre 0,1 million pour l’écriture de scénarios. Il est grand temps de nous demander comment nous avons pu en arriver là.

Première tentative d’explication : le manque de fonds. C’est l’argument fourre-tout. Bien sûr, il y a trop peu d’argent dans les caisses pour financer tous les films que l’on voudrait réaliser. C’est vrai, mais ce n’est que la moitié de l’histoire, car en renonçant chaque année à un seul film, on pourrait soutenir 20 scénarios. Puisque ce n’est pas le cas, ça doit être volontaire. Allez savoir pourquoi.

Deuxième tentative d’explication : tous les traitements faisant l’objet d’une demande sont mauvais, contrairement aux scénarios (sur la base desquels sont tournés les films) qui sont dans l’ensemble bien meilleurs. Ce qui serait pour le moins miraculeux. Les mauvais traitements se transformeraient étrangement, et en plus chroniquement, en excellents scénarios ? D’après mon expérience de scénariste, c’est peu probable.

Non, sans vouloir fâcher qui que ce soit, il doit y avoir une autre raison : les pools d’experts, représentation paritaire des associations, des régions du pays et des sexes (ça aussi, c’est des maths), ne comprennent que très peu de scénaristes et de dramaturges professionnels. Or il faudrait qu’ils soient majoritaires afin de discerner la qualité des récits au stade embryonnaire. Et cela dans plusieurs langues nationales. Il faudrait donc disposer de quantité de spécialistes assidus, alors que nous n’en avons de toute façon que très peu en Suisse. Et puisque les spécialistes font défaut, il faudrait au moins avoir le courage, en cas de doute, de soutenir un projet de trop au stade du développement plutôt qu’un de pas assez. Parce qu’il arrive qu’on ne se rende compte qu’une fois le scénario terminé qu’il ne valait vraiment pas le coup.

Récapitulons : nous manquons d’argent, d’expertise et de courage. Et maintenant?

Un institut pour le scénario

Ma proposition : externalisons le domaine du développement. Fondons un institut du scénario financé à hauteur de – disons – deux millions de francs. Boum ! Cet institut sera à même d’engager les meilleurs spécialistes, si nécessaire à l’étranger. Des spécialistes capables de juger, de soutenir et d’accompagner le développement de scénarios, depuis la première idée jusqu’à la dernière version. Dans toutes les langues nationales. Un vrai centre de compétence du récit. Ensuite il sera possible de sélectionner les meilleurs des nombreux scénarios qui y seront développés chaque année. Et le reste finira à la poubelle. Comme il se doit. Les comités d’experts de l’OFC ne devront plus jamais lire d’exposés ou de traitements et pourront se concentrer sur leur activité principale, à savoir l’aide à la réalisation. Les frais administratifs seront considérablement réduits. Un tel institut, en 2016, aurait supprimé l’examen d’au moins 80 dossiers. Cela représente une économie qui peut être investie dans les films. Le nouvel institut du scénario serait léger, souple et efficace, sans être alourdi par l’ensemble de dispositifs qui caractérisent une entreprise fédérale (la Zürcher Filmstiftung a déjà prouvé que c’était possible.) Bref : c’est la solution. Tout le monde est content. Eurêka.

Si j’étais un politicien familier des rouages de l’encouragement au cinéma, je me lancerais. Sérieusement. Mais je suis scénariste. L’année dernière, on m’a remis le Prix du cinéma suisse pour le meilleur scénario. La même semaine, j’ai reçu une réponse de l’OFC. Ma demande pour une aide à l’écriture avait été rejetée. Ce qui ne m’a pas empêché de continuer d’y travailler. Sans rémunération, s’entend. Heureusement que je ne sais pas calculer, sinon j’aurais laissé tomber ce métier depuis longtemps.

Micha Lewinsky, scénariste

▶  Texte original: allemand

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