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Éducation à l'image, l'exemple du Royaume-Uni

Célia Héron
03 janvier 2017

Mark Reid est à la tête du département éducation du British Film Institute depuis 2006. En 2012, il a dirigé «Screening Literacy», une évaluation des programmes d’éducation au cinéma en Europe, financée par la Commission européenne. Il est également le codirecteur de DARE, un groupe de recherche qui promeut les discussions autour de la formation artistique. Il sera présent à Soleure dans le cadre d’une journée intitulée « L'éducation à l’image maintenant ! » qui traitera de l’accès des jeunes au cinéma. La manifestation est divisée en quatre moments. Une table ronde sur la possible mise en place de programmes de cinéma dans les écoles, s'appuyant sur les expériences européennes; la projection d'un épisode de «La petite leçon de cinéma» par Frédéric Mermoud; la présentation par l'association filmkids.ch de son expérience de production d'un long-métrage avec des enfants et adolescents; et finalement, une présentation des comédiens mis en avant par la plateforme «JungeTalente.ch».

 

A quel moment de votre vie l’éducation au cinéma est-elle devenue une passion, vous qui vous destiniez à enseigner la littérature anglaise ?

Au début de ma carrière, on m’a confié un cours « anglais et médias ». Mais en tant que professeurs, nous n’avions reçu aucune formation nous permettant d’enseigner des cours de médias ou de cinéma, ces formations sont extrêmement rares. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé l’importance de l’éducation aux films. Ce qui m’a vraiment passionné ensuite est le fait que nous vivons dans un monde, au XXIème siècle, qui est entièrement dominé par les images en mouvement : d’où l’importance d’être éduqué à ce sujet.

A une plus large échelle, pourquoi pensez-vous que l’éducation au cinéma représente un enjeu crucial pour les jeunes ?

Cela doit devenir une partie intégrante de leur alphabétisation afin de leur permettre de comprendre le monde dans lequel ils vivent, au même titre que la lecture et l’écriture. Par ailleurs, de nos jours, les enfants et les jeunes adultes savent déjà énormément de choses sur le cinéma. N’importe quel enfant de 3 ans a sa collection de DVD préférés et sait reconnaître différents genres : ils ont une capacité d’apprentissage incroyable et nous ne la valorisons pas du tout. Nous devrions bâtir sur ce savoir, le reconnaître, le valoriser, le valider.

A un niveau plus spécifique, quels types d’initiatives implantées au Royaume-Uni ont permis d’obtenir de bons résultats ?

La ville de Bradford a intégré un cours d’éducation aux médias pour les 7-10 ans, avec des leçons basées sur des courts métrages qui ont montré d’excellents résultats en matière d’alphabétisation et de compréhension. Ensuite, il y a les clubs « Into Film », organisés après l’école, qui permettent aux élèves âgés de 5 à 18 ans d’être exposés à différents types de cinémas. Il y en a entre 7000 et 8000 à travers le Royaume-Uni. Enfin, il y a la BFI Film Academy, lancée il y a cinq ans, qui permet à des passionnés de 16 à 19 ans de recevoir une formation pour se lancer dans l’industrie cinématographique. On en compte 54 au Royaume-Uni.

Comment mesure-t-on le succès de telles initiatives ?

Dans les écoles primaires, on se demande si les élèves lisent et écrivent mieux. Pour les ciné-clubs, le succès se mesure à la variété des films auxquels les jeunes sont exposés. Si on leur demandait, la plupart des enfants et ados choisiraient de voir de grosses productions hollywoodiennes, mais il est très important qu’ils voient autre chose aussi. Pour la BFI Academy, le succès sera mesuré dans le futur en termes de diversité : quelles origines sociales, ethniques, quels profils auront trouvé leur place dans l’industrie cinématographique d’ici dix à quinze ans ?

A quel niveau les initiatives devraient-elles être prises selon vous : national, régional, local, individuel ?

Notre objectif étant de réunir les meilleures conditions pour permettre à tout le monde d’avoir une éducation aux films, le plus efficace est d’agir au niveau national, via les programmes scolaires, puisque tous les enfants vont à l’école. On doit néanmoins être capable de démontrer l’importance d’une telle matière à l’école, son impact sur une large palette de compétences.

Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre les pouvoirs publics ?

Les deux qui reviennent le plus souvent sont le développement des publics et une meilleure employabilité des jeunes sur le marché du travail. Mais si ça ne tenait qu’à moi, je me concentrerais sur un argument bien plus fondamental : l’éducation au cinéma fait partie de l’alphabétisation, au même titre que la lecture et l’écriture. C’est le plus important – et si cela mène à une force de travail plus compétente et à des publics plus aventureux, alors tant mieux.
A quelle échéance espérez-vous que l’éducation au cinéma devienne la norme ?
Ce sera long. La première Bible a été imprimée au XVème siècle et on a mis cinq cents ans à instaurer le droit universel à l’alphabétisation via la scolarisation. Donc, qui sait, peut-être que dans un siècle, les gens se diront: « Tu te rends compte qu’il y a cent ans, les films n’étaient même pas enseignés à l’école ? » Peut-être même qu’on se posera cette question dans cinquante ans... Je ne sais pas.

Y a-t-il de très bons élèves en Europe, dont les autres pays pourraient s’inspirer ?

L’Irlande du Nord ! Le gouvernement a travaillé sur un programme d’éducation au cinéma : il a créé un programme sur l’image en mouvement pour les 14-19 ans, il a inclus les films dans les cursus, organisé de bons festivals, favorisé les ciné-clubs. Voilà un pays qui a fait du sujet une priorité, contrairement à l’Angleterre.

Pourquoi, selon vous, certains gouvernements se donnent davantage de moyens que d’autres en la matière ? 

Dans le cas de l’Irlande du Nord, c’est un petit pays, ce qui rend peut-être les choses plus faciles. Compte tenu des « Troubles » (ndlr : le conflit nord-irlandais est ainsi surnommé dans la langue anglaise), le pays essaie aussi peut-être de rassembler la population en investissant dans la culture en général et dans l’éducation aux films en particulier. C’est aussi le cas en Croatie, qui se remet d’un conflit, et a fait beaucoup d’efforts récemment en matière d’éducation aux films. C’est une des idées mises en avant dans le livre « L’hypothèse Cinéma » d’Alain Bergala : les peuples et les gouvernements utilisent l’art et la culture comme un outil puissant pour surmonter les divisions créées par les guerres, comme dans la France des années 50, après la Seconde Guerre mondiale. 

Dans le cadre de votre rapport européen sur l’éducation aux films, quelles ont été les découvertes les plus intéressantes par rapport à la Suisse ? 

Nous partions du principe que les stratégies en matière d’éducation devaient être nationales. Or, en Suisse, en Allemagne ou en Belgique par exemple, la décentralisation ou l’existence de régions linguistiques rendent très difficile la mise en place de politiques publiques nationales : les cultures sont tellement différentes qu’il est compliqué d’imposer quoi que ce soit. D’ailleurs, c’est un peu le problème que nous connaissons, plus largement, en Europe !

Comment, selon vous, peut-on faire en sorte que la Suisse garde sa place dans cet effort européen d’amélioration de l’éducation au cinéma, malgré la votation du 9 février 2014 ?

En tant que Britannique, je peux vous raconter une anecdote : au lendemain du Brexit, nous avons reçu des mails de nos collègues européens nous disant: « Nous ferons tout pour continuer à travailler avec vous sur autant de sujets que possible ». Ce que je veux dire, c’est que nous pouvons agir au delà du cadre politique européen. 

Comment, par exemple ?

« Le Cinéma, Cent ans de jeunesse » de la Cinémathèque de Paris est un bon exemple (ndlr : un dispositif d’échange international sur le thème de l’éducation cinématographique, né à Paris et parrainé par Costa-Gavras): C’est un projet autofinancé et autogéré. Ou encore la collaboration au sein du réseau Europa Cinemas. En résumé, mon message aux Suisses est : vous êtes toujours Européens, vous pouvez encore participer à de nombreux programmes internationaux indépendants des politiques de l’UE.

On a beaucoup parlé de l’éducation des jeunes. Que fait-on pour les adultes ?

Pas grand chose ! A la fin de mon rapport sur les politiques européennes, j’ai demandé des photos des initiatives. J’en ai reçu une cinquantaine, de vingt pays. Une seule montrait des adultes : un groupe de femmes, âgées de 50 ou 60 ans, en train de réaliser un film… C’est vrai, nous concentrons nos efforts sur les enfants et les adolescents. Si vous cherchez à inclure toute une génération, il faut impérativement se concentrer sur les programmes scolaires. On ne sait juste pas où sont les sexagénaires, les quadragénaires. Et le fait est qu’il est plus efficace de concentrer notre action sur une population qui a toute la vie devant elle.

 

Mardi 24 janvier de 10h15 à 16h45, Kino im Uferbau, Soleure.

▶  Texte original: français

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