MENU FERMER

Article

François Musy, le génie du son

Pascaline Sordet
03 janvier 2017

Quarante ans de carrière, plus de 160 films et deux Césars, c’est un beau palmarès pour un technicien du cinéma en Suisse. L’ingénieur du son François Musy est l’invité d’honneur des Journées de Soleure.

De l’extérieur, on ne voit rien. L’atelier de François Musy à Rolle est invisible de la rue. Mais une fois à l’intérieur – attention à la marche - les étagères de câbles, les claps de tournage et les enregistreurs se dévoilent dans le labyrinthe feutré des studios. La pièce principale ouvre sur une cour intérieure tranquille d’où on entend les oiseaux et presque le bord du lac tout proche. Une femme à la fenêtre d’en face nous salue.

Le maître des lieux a la voix grave, calme et ronde, de celles qui donnent envie d’écouter, alors que c’est lui, en fait, qui écoute. Homme discret, celui qui capture et articule les sons de Godard, Garrel et Giannoli n’a que rarement eu les honneurs de la presse, à part un entretien dans les Cahiers du Cinéma de 1984, dont il se souvient encore le titre «Les mouettes du pont d'Austerlitz ». Les rares mentions de son nom sont entourées d’une aura mystérieuse, celle des secrets bien gardés.

Créer de l’espace

Sur l’écran du studio, Pénélope Cruz nous regarde. Pour raconter son travail, l’ingénieur du son a choisi un film terminé, « La Reine d’Espagne » de Fernando Trueba, tourné au début de l’année. Il lance l’extrait et l’actrice s’exprime en espagnol, une langue que François Musy ne parle pas.  Loin d’être un problème, cette incompréhension le rend « plus attentif » à ce que les acteurs disent : « En français, il y a plein de petites intonations qui paraissent parfaitement naturelles au casque, mais qu’en fait, on ne comprend plus une fois en montage. » Tourner dans une langue étrangère, au contraire, exige d’être spécialement à l’écoute de la diction et de ses subtilités. « Ce n’est pas différent de faire un film en polonais, en chinois ou en indien », explique l’ingénieur du son, qui travaille d’ailleurs en ce moment sur un film d’Anup Singh, « entièrement dans un dialecte particulier du nord de l’Inde ». Derrière son ton pragmatique perce quand même un amour palpable de la voix des acteurs : «C’est de la musique, tout ça. »

Même extrait, deuxième écoute, cette fois uniquement du son direct : la différence est à la fois minime et saisissante. Minime parce que la qualité du direct est fabuleuse, riche et soignée ; saisissante parce que, par effet de manque, on se rend compte de l’espace que les différents micros ont permis de créer, des bruitages qui amplifient les détails des pas et des objets qui tombent. Toute une cuisine, parfaitement orchestrée, qui se sent bien plus qu’elle ne s’entend. François Musy réenclenche ensuite toutes les pistes, « et ça fait un film ».

Le son direct avant tout

Avec des collaborations prestigieuses et une présence sur des plateaux internationaux, mais surtout une carrière qui s’étire sur quatre décennies, François Musy attribue sa longévité à deux qualités : savoir « garder la même envie sur tous les films » et surtout «être attaché au son direct ». D’où l’importance pour lui, de continuer à tourner, ce qu’il fait deux fois par année en moyenne. « Le tournage, c’est le moment magique du rapport avec les acteurs, et cela permet aussi de rester conscient de la difficulté de faire du son direct depuis une quinzaine d’années avec le bruit environnant. Il faut imaginer qu’aujourd’hui, s’il y a 100 personnes qui travaillent sur un plateau, il y a 100 lignes de téléphones potentielles. » Or un plateau, c’est de la gestion de personnel. François Musy décrit le temps passé à contrôler tout ce qui pourrait venir perturber le son du film, les lieux de tournage rarement silencieux et disciplinés, la collaboration avec les autres techniciens, une tradition du son direct à laquelle il tient mais dont il estime qu’elle se perd, les stagiaires qui courent pour fermer les fenêtres. Il parle sans aigreur des changements qu’il observe.

Il n’y a pourtant pas de discours théorique derrière cet attachement au son direct, pas de fétichisme. Si la prise n’est pas bonne, on ne la garde pas, si la machinerie empêche de comprendre les dialogues, il faut trouver d’autres solutions. Simplement, c’est une manière de travailler qu’il apprécie, et qu’il partage avec les réalisateurs avec lesquels il travaille, quel que soit le genre, l’histoire, ou l’approche. François Musy ne tient pas non plus de discours sur ce que devrait être un son, ou sur ce qui ferait sa spécificité personnelle. Il n’y a donc pas de son Musy ? « Ma sœur dit que oui. Elle dit qu’elle sait avant de voir mon nom au générique si c’est moi qui ai fait le son. Mais c’est ma sœur. » Lui dit simplement qu’il aime les voix, les belles ambiances, qu’il cherche à faire de beaux espaces, à être près de la réalité du film, et que « si les gens continuent de m’appeler après quarante ans, c’est que ça marche ».

Premiers pas avec Godard

Le travail, donc, comme pierre angulaire de sa carrière, mais aussi des opportunités heureuses, même si « le hasard n’existe pas, on le fabrique ». Formé à Genève, l’ingénieur du son fait son premier film comme chef de poste sur « Passion » de Jean-Luc Godard. Une expérience « géniale pour le petit Suisse que j’étais ». Il entre dans le cinéma par la grande porte, se retrouve face à des acteurs qu’il admire, comme Michel Piccoli, avec Raoul Coutard à l’image : « En fait, j’ai été très protégé, j’en garde un très beau souvenir. »

Mais un hasard pareil, comment est-ce qu’il se provoque ? « Godard cherchait quelqu’un pour s’occuper d’envoyer les playback sur le film, pour la partie tournée en Suisse. Je venais de finir ma formation pratique et j’ai rencontré Raoul Coutard. Entretemps, j’avais aussi fait la « Lettre à Freddy Buache » de Godard. Après le premier jour de tournage, j’ai été convoqué. J’ai pensé que j’avais fait une connerie, mais tout le staff était réuni, et Jean-Luc a annoncé que Jean-Pierre Ruh, l’ingénieur du son, allait partir. Il m’a demandé si je voulais faire le film à sa place. A 25 ans, on est blindé d’inconscience… »

L’ingénieur dans ses murs

Les deux hommes s’entendent, puisqu’ils collaborent sur d’autres films dont « Prénom Carmen» l’année suivante ou encore récemment « Film Socialisme » et que le studio Nos Sons Mix, à sa création en 1992, partage ses locaux avec le réalisateur. L’ancienne salle de montage de JLG est actuellement le deuxième studio de François Musy, qui travaille en duo avec son fils Renaud Musy. Je lui demande à quel point il est important, pour un ingénieur du son, d’être dans ses propres murs, indépendamment de l’aspect logistique : « Vous devriez poser la question autrement, me répond-il à la volée. Si, pour le réalisateur, la première fois que vous voyez votre montage, c’est sur un petit écran avec deux amplis pourris, ce n’est quand même pas la même chose que d’être ici, non ? Ben voilà, vous avez votre réponse. » Soudain plus sérieux, il explique qu’il monte les sons tout en les mixant, dans les conditions de son réel du film, ce qui permet d’entendre le résultat final au fur et à mesure.

Un confort que les auteurs suisses, surtout débutants, n’ont pas toujours saisi. Entre les sept films qu’il monte et mixe chaque année, je lui demande s’il accepte des projets de petite envergure, des courts-métrages par exemple, comme beaucoup de techniciens dans d’autres domaines : « Si on nous appelle! Il y a quelques années, raconte-t-il pince-sans-rire, j’ai reçu un prix à Soleure, avec une somme intéressante à la clé. J’étais très flatté. J’avais dit : si dans l’année qui vient, il y a des gens qui ont des courts-métrages, vous êtes les bienvenus; personne n’a appelé. » Ces projets permettent pourtant les rencontres, comme celle, fructueuse, avec Xavier Giannoli, dont il s’apprête à tourner le septième long-métrage consécutif.

 

«Rencontre» présente deux événements avec François Musy les 21 et 22 janvier, en plus d'un programme de films.

▶  Texte original: français

Jacqueline Zünd condense la vie

Kathrin Halter
03 janvier 2017

Inéluctable innovation

Pascaline Sordet
07 novembre 2016

Vers un cinéma en flux

Kathrin Halter
07 novembre 2016

Vous vous interesser au cinéma suisse ?

Abonnez-vous!

Voir offre