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Décès d'Alain Tanner

Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse
12 septembre 2022

Alain Tanner, sur le tournage de « La Vallée fantôme » (sorti 1987). © Collection Cinémathèque suisse. DR

Le cinéaste Alain Tanner est décédé dimanche 11 septembre 2022 à l’âge de 92 ans. Il était sans conteste l’un des plus importants réalisateurs suisses, et, en 20 longs métrages de fictions et de nombreux documentaires, il a marqué l’histoire du cinéma avec des œuvres aussi essentielles que La Salamandre, Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, Messidor ou Dans la ville blanche.

Co-fondateur du Groupe 5 avec Claude Goretta, Michel Soutter, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange, il a été l’un des chefs de file du «Nouveau cinéma suisse» qui allait s’imposer à la fin des années 60. Il a aussi été l’un des acteurs majeurs de la naissance de la première loi du cinéma en Suisse, en 1963, et s’est battu longtemps pour que le 7ème art obtienne un soutien et une reconnaissance publics.

Né à Genève en 1929, il a très tôt nourri une passion pour le cinéma, fondant avec son ami Claude Goretta le ciné-club de l’Université à Genève 1951. Ensemble, fascinés par le Free cinema britannique et particulièrement le travail de Lindsay Anderson, ils partent à Londres en 1955 pour travailler au British Film Institute à la fin des années 50 et y réalisent en 1957 le court métrage Nice Time (Picadilly la nuit) qui leur vaut un prix au Festival de Nice et une sélection à Venise.


De retour à Genève, ils rejoignent la Télévision suisse romande où ils vont signer de nombreux reportages, notamment pour l’émission Continent sans visa. Il réalise parallèlement divers travaux de commande comme L’école (1962), un film en polyvision sur l’architecture des écoles pour la 12ème triennale de Milan, ou Les Apprentis, long métrage documentaire sur l’apprentissage qui sera montré à l’Expo 64 à Lausanne. En 1968, Alain Tanner est à Paris où il filme les événements de mai pour la TSR (Le pouvoir dans la rue). Une expérience qui le porte à écrire son premier long métrage de fiction: Charles mort ou vif (1969) qui est sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes et remporte le Léopard d’or à Locarno.


Cette première fiction, co-écrite avec John Berger et mise en image par Renato Berta, alors à ses débuts, et où Jean-Luc Bideau fait une première apparition, est un véritable marqueur de toute l’œuvre du cinéaste : un cinéma engagé, résistant, toujours en phase avec le monde contemporain. Il est frappant de constater combien ce film résonne encore aujourd’hui pour un public jeune par sa réflexion sur la liberté, l’écologie, le refus des carcans imposés par la société.


Deux ans plus tard, La Salamandre (1971), présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, va imposer la figure de Rosemonde (Bulle Ogier), la rebelle, rétive à tout ordre établi, incarnation courageuse d’une critique du conformisme et de la Suisse bourgeoise. D’ailleurs si le film rencontre un succès international, en particulier en France, il ne sera guère apprécié en Suisse où Tanner devra le distribuer lui-même!


A partir de là, Alain Tanner va construire une œuvre remarquable jalonnée de succès et de récompenses internationales, en particulier Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976) où il revient sur les rêves inachevés de ’68. Après Messidor (1978), où la violence fait irruption dans la révolte de ses personnages, il change de registre – et de pays – et part en Irlande tourner le poème Les années lumière où son héros (Trevor Howard) rêve de s’envoler comme Icare. Le film remporte le Grand prix au Festival de Cannes. Puis, lui qui avait travaillé deux ans dans la marine marchande dans sa jeunesse, descend au Portugal filmer l’errance magnifique d’un marin à quai incarné par Bruno Ganz : Dans la ville blanche (1983), César du meilleur film francophone.


Il revient alors en Suisse filmer le No Man’s Land (1985) en alternant des œuvres parfois plus intimes comme La vallée fantôme (1987) où Paul (Jean-Louis Trintignant), son double, s’interroge sur le cinéma ; et parfois plus politiques, comme La femme de Rose Hill (1989) sur les mariages «arrangés» avec des femmes du Sud. Jusqu’à une forme de film-testament où il signifie à tous qu’il arrête de faire du cinéma : Paul s’en va (2004). Proche de Freddy Buache, Alain Tanner a déposé toutes ses archives à la Cinémathèque suisse, qui lui avait notamment consacré une rétrospective en 2010, en sa présence. Il était revenu en 2011 pour le lancement du site très complet qui lui est consacré alaintanner.ch. Notre institution a parallèlement collaboré avec l’Association Alain Tanner pour la restauration et la numérisation de tous ses films, travail qui sera bientôt achevé et a permis de remettre en circulation en Suisse et à l’étranger la plupart de ses oeuvres. Enfin, signalons que se développe actuellement un important travail de recherche dans nos archives, piloté le professeur Alain Boillat, financé par le FNS et réalisé au sein de la Collaboration UNIL-Cinémathèque suisse : Le scénario chez Alain Tanner : discours et pratiques. Dans le sillage de ce projet collectif, Alain Boillat publiera prochainement un ouvrage sur Alain Tanner dans la collection Savoir suisse des éditions EPFL Press. Mercredi 28 septembre, nous projetterons La Salamandre (1971) avant de lui rendre plus amplement hommage prochainement.


La Cinémathèque suisse adresse à la famille et aux amis proches d’Alain Tanner toutes ses condoléances. 

 

(Texte publié sur le site de la Cinémathèque suisse)

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