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Basil Da Cunha : «J’ai voulu dépeindre la difficulté d’être femme»

Adrien Kuenzy
13 août 2023

Le cinéaste en plein tournage. © Akka Films, Basil Da Cunha, 2023

Formé à la Haute école d'art de Genève, le réalisateur vient de présenter son dernier film au Locarno Film Festival. «Manga D'Terra» relate l’histoire de Rosa, qui a quitté le Cap-Vert pour s'installer à Reboleira, un quartier pauvre de Lisbonne. Malgré les épreuves, elle travaille pour ses enfants et se réfugie dans la musique. Entretien avec le cinéaste.  

«Manga D'Terra» évoque de manière frontale la difficulté d’être femme. Était-il difficile de trouver la bonne façon d’aborder ce sujet?

Tout d’abord, il faut dire que j’ai voulu dépeindre la difficulté d'être femme en général, plutôt que spécifiquement dans ce quartier. Et mon film montre surtout que la vraie violence vient de l’extérieur. C'est parfois difficile à saisir, et cela peut être perçu comme du misérabilisme. Mais ce que je vois, comme le dit une belle expression, ce n'est pas de la misère, mais seulement des difficultés. Il y a des obstacles, mais aussi une forte résilience chez Rosa et celles et ceux qui l’entourent. Le film cherche à communiquer cette idée. Il aspire aussi à effleurer l'entrelacement du drame et de la comédie, tout en rendant hommage à la puissance des modèles féminins présents. Ce que l'on observe, c'est un réseau solidaire, des femmes autonomes, indépendantes des hommes. Quand on crée un film de l'intérieur, on réalise la diversité des manières d'exister dans ce quartier. Les réalités, statuts et classes sociales diffèrent, tout comme dans une famille. L'objectif était de mettre en avant cette énergie, cette force de vivre, tout en narrant les multiples facettes d'être une femme. Naturellement, cela implique de donner une place prépondérante aux personnes que je connais.

 

Justement, trouvez-vous votre inspiration au sein de ces personnes? Existe-t-il également un espace pour l'improvisation?

Tout à fait. Et je ne leur révèle pas le scénario en entier. Je leur fournis des objectifs pour chaque scène. Je forge des situations avec des buts spécifiques. Prenons l'exemple de la séquence avec Lucinda : son mari part chercher des cigarettes et ne revient pas, provoquant sa colère. C’est une situation que j’ai souvent observée. Lorsque j’ai guidé cette partie, je l’ai d’abord proposée. Je peux ensuite donner à l’actrice des éléments essentiels à l'écran. Ce sont souvent des scènes où mes personnages se reconnaissent.

Rosa, interprétée par Eliana Rosa. @Akka Films, Basil Da Cunha, 2023

Le film comporte aussi une part de fantastique. Comment avez-vous imaginé cette dimension?

Le fantastique se manifeste surtout à travers la musique, de manière organique. En réalité, je ne dissocie pas complètement le rêve et la réalité, tout comme les personnages de mon film. Ces espaces ont été conçus comme des moments difficiles à exprimer par des mots. La musique possède un immense pouvoir d'évocation, atteignant les profondeurs de l'âme des personnages. Elle a d'ailleurs été fusionnée avec d'autres styles musicaux, grâce à la contribution d'Eliana Rosa, qui joue le rôle principal, et du groupe Acacia Maior. Nous avons joué avec ces éléments pour créer une harmonie.

 

La musique façonne également le développement du récit et la psychologie du personnage. Comment l'avez-vous élaborée?

Rosa se venge de sa réalité, et chaque mélodie devient une étape de sa révélation au monde. C'est un moyen d'exprimer son désespoir, son amour de la vie, sa manière de conquérir les gens, de chanter son malheur. À la fin, c'est par le biais de la musique qu'elle se métamorphose en diva. C'est extrêmement gratifiant de penser que le cinéma permet à un personnage de prendre sa revanche sur son destin. Ces moments musicaux sont conçus dans cette optique.

 

Quel lien entretenez-vous actuellement avec le quartier de Reboleira, où vous vivez et filmez depuis de nombreuses années?

C'est comme ma maison, je m'y sens bien. J'y ai déménagé à l'âge de vingt ans, après ma première année à HEAD, et j'approche aujourd'hui de la quarantaine. Aujourd'hui, beaucoup de gens sont partis à l'étranger ou sont en prison. Le quartier que j'ai connu est en train de changer, il y a donc une sorte d'urgence à le photographier. En voyant la transformation de ce quartier, j'ai voulu saisir toutes les opportunités. J’ai pu ainsi documenter de nombreux éléments pour mon prochain projet, avant qu'ils ne disparaissent. C'était vraiment crucial.

 

En tant que coproducteur du projet, quel est votre lien avec cette facette de la création?

Au départ, j'avais déposé une demande de court métrage aux côtés la société de production Akka Films. Mais le temps m'a manqué, car je devais commencer le tournage la semaine suivante. J'ai donc dû assumer une partie des coûts de production du film et le rôle de directeur de production, tout en investissant mes économies personnelles dans le projet. Bref, une société de production classique n'aurait pas eu le temps de gérer cela dans les règles de l’art. Je pense que, dans certains projets, il est essentiel que je sois coproducteur afin d'exercer une influence sur la structure de production du film. Mais je ne prétends pas être producteur. C'est juste que je dois parfois assumer la responsabilité de certaines décisions.

 

En ce moment, vous êtes en train de préparer votre prochain long-métrage, «O Jacaré». Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

Il s'agit d'un film choral qui réunit tous les acteurs et toutes les actrices de mes films, dans le style du «Shortcut» de Robert Altman. J'écris ce projet depuis cinq ans, mais malheureusement je n'ai pas assez de fonds pour le réaliser dans son intégralité. Je dois donc faire des coupes dans le scénario pour pouvoir le tourner. Il marque aussi la fin d'un cycle dans ce quartier.

 

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