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« Nous voulons un modèle qui soit favorable aux auteurs »


07 janvier 2016

Katrin Grödel, chargée culturelle du canton de Bâle-Ville, parle du nouveau modèle d’encouragement bâlois, de l’art numérique, du rôle des mécènes privés, et de l’idée de fusionner la promotion régionale en Suisse alémanique.

Propos recueillis par Kathrin Halter

 

Quelle est la genèse de ce nouveau modèle d’encouragement bâlois ?

Il y a déjà eu auparavant une initiative pour créer à Bâle une fondation pour le cinéma, mais le modèle avait subi un échec politique et financier. A l’époque, on avait prévu que la fondation serait en grande partie financée par des privés. Or c’était un défaut de conception : les sponsors privés veulent s’engager en fonction de projets ou de thèmes spécifiques, et non investir dans une structure de soutien. En outre on attend plutôt que l’encouragement du cinéma vienne des pouvoirs publics. Nous avons donc imaginé un modèle d’encouragement bicantonal, sans autres partenaires. Heureusement, le gouvernement et le Parlement nous ont donné leur appui.

Sauriez-vous expliquer cette réticence des mécènes bâlois à s’engager dans la promotion du cinéma ?

Cette notion de la puissance des mécènes bâlois a surtout à voir avec les fondations qui sont liées avec les musées et les grandes maisons d’art : la Fondation Laurenz, par exemple, responsable du Schaulager, ou la Fondation Emanuel Hoffmann, qui s’engage depuis les années 1940 dans la collection bâloise d’art, ou encore la Fondation Beyeler... De telles « coopérations public-privé » naissent principalement avec des institutions artistiques, rarement dans le domaine de l’encouragement de projets. Les fondations privées veulent soutenir des projets qui correspondent à leur vocation. Ce qui n’exclut pas que certains projets puissent être soutenus à la fois par les pouvoirs publics et par des privés. Mais il n’existe pas non plus de fonds commun ou d’« automatisme » dans le domaine des arts visuels.

Du point de vue politique, qu’est-ce qui a rendu possible cette nette hausse du budget alloué à l’encouragement ?

On le doit d’une part au succès des réalisateurs bâlois, dont la renommée dépasse largement les frontières du canton. Par exemple Vadim Jendreyko avec son portrait de Swetlana Geier, « La femme aux 5 éléphants » (2009). Ou Fanny Bräuning, la réalisatrice bâloise établie aujourd’hui à Berlin avec « No More Smoke Signals » (2008), même si le film a été produit à Zurich. Ou encore Anna Thommen avec « Neuland » (2013). Ce documentaire montre justement à quel point c’est important de faire du bon travail non seulement chez soi, mais aussi de raconter sa propre région à un public suprarégional. D’autre part, le sujet a pris de l’importance dans la politique culturelle grâce à un lobbying de longue durée.

On justifie volontiers la promotion régionale avec la menace de voir émigrer les réalisateurs. Existe-t-il des exemples concrets à Bâle ?

Il y a des maisons de production comme Mira Film de Vadim Jendreyko et Hercli Bundi, qui ont été fondées à Bâle, mais qui ont dû transférer leur siège à Zurich après quelques années afin de pouvoir survivre économiquement.Les documentaires dont le budget dépasse 500’000 francs, par exemple, ne peuvent être réalisés qu’en collaborant avec des professionnels établis dans d’autres cantons, ce qui permet d’y déposer des demandes de soutien. Une réalisatrice bâloise représentée par une société bâloise n’aurait jamais pu mener à bout un projet comme « Neuland » d’Anna Thommen (produit par Fama Film / SRF / ZHdK). Si les réalisateurs émigrent, c’est une région qui risque de disparaître du point de vue cinématographique. Il y va de la diversité culturelle – une préoccupation centrale de notre politique culturelle.

Les promoteurs régionaux de Zurich et de Berne exigent que 150 pour cent de leur soutien soit dépensé dans la région, à Bâle c’est 100 pour cent. Avez-vous consciemment baissé ce montant afin de réduire la bureaucratie ?

Je ne sais pas si cela permettra de réduire la bureaucratie, puisque nous devrons de toute façon procéder aux vérifications, mais nous avons réduit ce montant de manière tout à fait consciente afin de diminuer les obstacles. L’idée est de donner un élan à la relève et à l’industrie de la création. Or, à partir d’un certain montant, de telles prescriptions se transforment en entraves. Nous voulions créer un modèle qui soit favorable aux auteurs. En même temps, nous tenons beaucoup à renforcer la place de la production – il s’agit de trouver un équilibre.

Dans quelle mesure vous êtes-vous orientés par rapport à Zurich ?

Nous avons parlé avec tous les promoteurs régionaux ainsi qu’avec l’OFC et la SSR, afin d’assurer notre compatibilité. En paralèlle, nous avons cherché à créer un profil d’encouragement spécifique à Bâle, avec un modèle d’encouragement qui concerne le cinéma autant que l'art numérique. Cela a d’une part à voir avec la tradition bâloise, où l’art numérique a sa place depuis longtemps, mais cela a également son importance du fait que le paysage médiatique est en train de fortement changer pour les professionnels du cinéma. Il faut qu’il y ait une marge de manœuvre pour les nouveaux formats, qui, sans cela, se retrouvent pris entre deux chaises. Avec ce large éventail en vue, nous nous sommes plutôt orientés par rapport à la Suisse romande ou à différents modèles allemands, que sur Zurich. Ce que nous avons repris directement de Zurich, c’est la possibilité de soutenir les scénaristes pour la phase de développement.

A Zurich, on cherche aussi à transformer la Filmstiftung en une fondation pour le cinéma et les médias…

Je crois que les débats qui sévissent à Bâle et à Zurich sont très différents. A Zurich la discussion se rapporte surtout à l’industrie du jeu vidéo. Si à Bâle nous prenons le « Game Art » en considération, ce n’est pas le cas pour les jeux commerciaux, d’autres productions de commande, ou les développements technologiques à caractères commerciaux ou destinés à être brevetés. D’après moi, à Zurich, il s’agit davantage d’un débat entre les industries du cinéma et des médias, alors que Bâle est plus fortement orienté vers l’art numérique.

Qu’entendez-vous exactement par « art numérique », en opposition aux arts visuels, en lui créant sa propre catégorie d’encouragement, à Bâle ?

Cette démarcation est bien sûr un sujet. D’un point de vue pragmatique, il s’agit d’une part de déterminer quel jury sera le plus à même d’évaluer un projet. D’autre part, l’encouragement aux arts visuels compte sur un autre type de distribution ainsi que sur le marché de l’art. Nous conseillons régulièrement les requérants par rapport à l’endroit le plus propice pour déposer leur demande.

Le terme « art numérique » englobe l’art vidéo, l’art informatique comme l’art en ligne ou les projets artistiques avec des applications mobiles qui fonctionnent sur smartphone ou tablette. De telles productions ont la vie dure dans le monde de l’art. Ils sont certes présentés dans les festivals d’art numérique, mais ne circulent pratiquement jamais par le biais de galeries.

Qu’en est-il de l’art vidéo ?

La situation de l’art vidéo n’est plus aussi problématique que dans les années 1980 ou 1990, mais elle reste difficile : s’il lui arrive de trouver une place dans les musées, il n’existe presque pas de collectionneurs privés qui s’y intéressent. Et il n’existe quasiment pas de possibilités de cofinancement pour l’art vidéo. La Fondation Ernst Göhner est l’un des très rares donateurs privés qui prend en considération cette forme artistique.

Cela fait beaucoup de formats qui viennent s’ajouter au cinéma, lui-même, déjà passablement onéreux. Serait-ce ce qui explique ce modèle d’encouragement à deux niveaux, avec un soutien séparé pour les productions de cinéma plus ambitieuses ?

Oui et non. Nous n’avons pas augmenté les moyens alloués à l’art numérique. L’augmentation devrait avant tout profiter au cinéma, et surtout nous permettre de soutenir les projets avec des sommes adéquates. La contribution maximale pour la réalisation (promotion de base), par exemple, passe ainsi de 50’000 à 200’000 francs. Dans le cas du deuxième pilier d’encouragement, nous nous concentrons entièrement sur le soutien aux productions cinématographiques. Nous réservons à cela plus de la moitié de l’ensemble du budget d’encouragement (soit 1.5 millions). Le nouveau montant des aides permet une nette amélioration, d’autant plus que le total de 2.7 millions de francs est exclusivement réservé à l’encouragement des projets et à la production.

Le festival Bildrausch ou les institutions telles que le Haus der elektronischen Künste ou le Stadtkino sont subventionnés à travers d’autres fonds. A Berne, en revanche, l’encouragement du cinéma inclut la promotion de la culture cinématographique.

Quel est votre avis sur la création d’une fondation suisse alémanique pour le cinéma, qui fusionnerait les promoteurs régionaux de Berne à Bâle en passant par Zurich – à l’image du Cinéforom ? Parle-t-on ouvertement d’une telle possibilité ?

Je sais qu’il y a eu de telles discussions avant mon entrée en fonction. Il s’agissait alors de la création d’une association des cantons du nord-ouest de la Suisse. Mais la proposition ne rencontra pas de succès politique et s’est enlisée. Nous n’avons pas abordé le sujet lors de mes discussions préparatoires avec Berne et Zurich – nous avons parlé de la coordination avec les autres modèles d’encouragement existants.

Mais une fusion serait-elle imaginable pour vous ? Les inconvénients du morcellement sont manifestes, surtout en comparaison avec la Suisse romande.

Oui, nous pouvons et devrions dans tous les cas réfléchir dans ce sens. On a notamment pu observer qu’à Zurich, une des conséquences du renforcement de la promotion régionale est que les régions qui n’étaient pas en mesure de suivre se sont retrouvées être un handicap pour leurs cinéastes. A Bâle, nous avons voulu sortir de cette situation. Mais ce dont il faudrait dans tous les cas discuter, c’est de la vocation qu’aurait une telle fondation commune, c’est-à-dire de la question de la relation entre la promotion du site d’une part, et la promotion culturelle favorable aux auteurs d’autre part. Et bien sûr, de la question du spectre d’encouragement. Faut-il par exemple soutenir les séries, comme c’est le cas en Suisse romande et à Bâle, contrairement à Zurich ou Berne ? Je serais heureuse de mener une telle discussion dans un cadre suprarégional.

 

 

 

 

 

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