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Le «bashing» des films suisses

Samir - producteur, réalisateur et exploitant
25 septembre 2017

Le film suisse s’est rarement aussi bien porté à l’international que ces dernières années. Des films suisses sont présents sur tous les grands festivals de catégorie A, sont nommés aux Oscars, remportent des prix en France, aux États-Unis et en Allemagne. Ces films exigeants font jeu égal aux yeux de la critique avec les productions étrangères du cinéma indépendant. Presque chaque année, une production populaire helvétique est, en termes d’entrées, à même de tenir le crachoir aux blockbusters américains. Rarement un tel consensus a existé au sein de la branche quant à la politique du film et face au changement radical et profond que représente la digitalisation. Dans le même temps, c’est un changement de génération en bonne et due forme qui se profile, au sein même de toutes les associations, jusqu’à celles de producteurs qui s’apprêtent, après des décennies de querelles, à s’unir.

Et c’est justement maintenant que les acteurs du cinéma sont confrontés à une vague de ronchonnement venant de donneurs de leçons ne se souciant guère d’appuyer leurs affirmations par des chiffres corrects ou des recherches personnelles. D’une façon parfaitement « trumpesque », des théories sont érigées en faits.

Des attaques de toutes parts...

Dans la presse spécialisée aussi, certaines personnes se voient offrir une tribune qui leur permet de répandre des allégations baroques sur les raisons du mauvais état du film suisse… Ainsi, la productrice danoise Sigrid Dyekjaer prétend dans Cinébulletin, et ce sans la moindre contradiction, que le film documentaire suisse pâtirait d’un manque d’importance à l’international. Elle donne aussi la preuve de son ignorance en affirmant que les règlements suisses sur les subventions empêcheraient les coproductions. Sa critique des technicien-nes du film suisse qui cultiveraient, selon elle, l’entre-soi et seraient peu portés au voyage, n’a pu provoquer que des hochements de tête. Chacun connaissant un tant soit peu la qualité de ces technicien-nes sait que ce n’est pas sérieux. De plus, chaque producteur sait que les dispositions de l’aide au cinéma suisse sont plus généreuses que celles ayant cours en Allemagne.

Le « producteur-star » Michel Merkt quant à lui, nous conseille, à nous faiseurs de film, de professionnaliser le système de subventions. Sa nouvelle et renversante idée : moins de films pour plus d’argent. Pour rappel, c’est ce même concept de films-locomotives qui a échoué lamentablement il y a quelques années. Chaque professionnel sait que des films de meilleure facture ou remportant plus de succès, ne sont pas la suite logique de l’augmentation des moyens alloués.

Encore plus énervant aura été le manifeste des deux rédacteurs de Frame, Christian Jungen et Denise Bucher, dans lequel ils exposaient dix conseils, qui devaient rendre le film suisse à nouveau plus performant. De nombreux collègues ont été dépités par tant d’ignorance. Beaucoup d’entre eux participent en effet, de manière volontaire, à l’élaboration des concepts de subventions, ou tout du moins essaient, sur une base bénévole, d’influer sur le travail des associations. Or, la plupart des 10 points cités plus haut ont, soit déjà été appliqués, soit sont en cours d’élaboration, voire de consultation ; en tout cas ont déjà été discutés en détail.

... alors que rien n'est neuf

La réflexion sur une nouvelle définition du film est en ce moment, et du fait de la digitalisation, menée à bien au sein du système de subventions du film (point 1). La branche zurichoise a par ailleurs réuni des signatures dans le but d’amener à l’élargissement de l’institut du film, et ce afin d’offrir à l’avenir une plus grande place aux formes digitales du récit. L’idée d’une École nationale du film est en soi plaisante (point 2), mais celle-ci n’est en aucun cas adaptée à la réalité fédéraliste de notre pays. C’est cette même réalité qui s’oppose aux remises d’impôts pour les particuliers (point 10).  Sur cette question aussi, il eût probablement été opportun de demander leur avis à des producteurs de films plus aguerris pourquoi l’idée de tax shelters n’a pas su s’imposer dans le canton de Zurich.Les novices du cinéma n’ont jamais été mieux soutenus que ces dernières années et dans le nouveau règlement de la Fondation du film de Zurich, la difficile équation autour du financement des premières œuvres est résolue depuis longtemps (point 6).

D’autres propositions ne sont même pas motivées : la raison pour laquelle Succès Cinéma devrait se voir placer la barre plus haut reste un mystère (point 8). On ignore ici tous ceux qui ont négocié ces moyens avec l’OFC au cours d’un processus poussé. Plus énigmatique encore est la prétendue influence sur les films, subventionnés par les commissions, que serait appelé à jouer un changement de génération au sein de l’administration (point 9). L’idée d’une intendance, souvent discutée, n’est pas non plus objet de consensus. Les auteurs omettent de nous dire pourquoi une intendance serait plus courageuse qu’une commission. Et ils omettent sciemment d’évoquer qu’il existe des pays possédant des systèmes de financement du film efficaces et ce, sans intendance, mais avec des commissions.

Ainsi, toutes ces exigences sont, à l’exception de l’élargissement de l’aide à l’écriture scénaristique, bien éloignées de la réalité et le manifeste n’a pas rencontré de résonance au sein de la profession.

L’invitation (à des professionnels du cinéma triés sur le volet) par les festivals de Zurich, Genève et Locarno, sous le titre « Connect to Reality », n’en a été que plus étonnante. Beaucoup de cinéastes se sont alors demandé qui était en manque de contact avec la réalité. Il leur est resté un sentiment de manque de respect - au vu de la situation économique compliquée dans laquelle ils produisent des films - que des fonctionnaires de festivals et des experts autoproclamés tentent de leur dire comment ils devraient faire leur travail.

 

▶  Texte original: allemand

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