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Pensée magique


29 juillet 2015

Après être parvenu à faire rire et à étonner la Piazza il y a deux ans avec « Les grandes ondes (à l’ouest) », Lionel Baier revient cette année, nous faire rire de la mort, avec « La vanité ». Portrait d'un réalisateur qui n’a pas peur de rêver.

Lionel Baier, est né en 1976 à Lausanne. Le cinéma fait très rapidement partie de sa vie. La télévision tout d’abord, puis les petites salles régionales et leurs films à grand spectacle ou comédies populaires, qu’il apprécie particulièrement. L’autre cinéma, celui dont on parlait dans les journaux, il le cherche dans les livres, les monographies d’auteur et les scénarios. A 9 ans, il découvre « Complot de famille » d’Alfred Hitchock, et comprend, en voyant le réalisateur apparaître à l’écran, que c’est « ce gros monsieur qui organise le récit ». Jusque-là, il a toujours eu l’impression que les acteurs décidaient du cours de l’histoire. Il sait maintenant ce qu’il fera quand il sera grand. Il racontera des histoires et les « organisera ».

Raconter des histoires, en pensant, avec une naïveté évidente due à son âge : ce ne doit pas être beaucoup plus compliqué que de devenir cafetier restaurateur, ou ferblantier ? A 12 ans, il commence donc à tourner des films, l’après-midi avec ses amis. Le plaisir est immédiat. « La petite manigance, le petit machin qu’on organise », le passionne. A 15 ans, il est engagé au cinéma Rex d’Aubonne. D’abord placeur, puis, opérateur projectionniste, « pour pouvoir toucher la pellicule » et enfin programmateur. « C’était un peu de la pensée magique : plus je me rapproche du cinéma, ne serait-ce même que du bâtiment, plus j’aurai des chances d’en faire. » Il fait venir des cinéastes suisses afin qu’ils présentent leurs films. Il leur écrit, leur expose sa motivation, ses impressions. C’est ainsi qu’il entre en contact avec Jacqueline Veuve. L’adolescent et la réalisatrice entretiennent une correspondance, elle vient dans son cinéma, lui conseille des lectures, le guide.

En 1995, il entre à l’Université de Lausanne, étudie les Lettres, l’histoire esthétique du cinéma, le français médiéval et l’italien. Un an plus tard, Jacqueline Veuve l’engage comme recherchiste pour une série sur les rues de Suisse. « C’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble, puis j’ai été assistant sur le Journal de Rivesaltes. J’ai fait trois films, je crois, avec elle. Depuis, nous sommes toujours resté en contact. »

 

L’émancipation

Trois années passent et Lionel Baier se lance. Un court-métrage de fiction d’abord « Mignon à croquer », puis de documentaire « Jour de défilé ».

C’est en 2000 qu’il réalise son premier long-métrage « Celui au pasteur (ma vision personnelle des choses) », un documentaire sur la vie d’un ecclésiastique de campagne. Son père. « La société vaudoise, et suisse en général, était en train de basculer dans quelque chose d’autre, peut-être le XXIe siècle. Les choses qui existaient en tant que telles, la fonction de l’Etat, ou de la religion, le rapport entre le capitalisme et le protestantisme, tout était en train de se renverser dans autre chose. Et là, j’avais un point de vue particulier, celui du fils du pasteur », raconte-t-il. Après une sélection à Visions du Réel, faute de distributeur, il loue un projecteur et demande aux exploitants du cinéma Richemont, à Lausanne, le droit de projeter lui-même son film, une fois par jour, à 18h. Les spectateurs sont venus, petit à petit, et à la fin de l’été les séances étaient complètes. Cela a permis que le film existe et que Lionel Baier existe en tant que réalisateur. Il enchaîne sur un deuxième documentaire « La parade ». Pour l’un et l’autre, il est porté par Robert Boner, pour qui il travaillait en tant que régisseur et par son ami Jean-Stéphane Bron.

Si son premier film parle de son père, le deuxième traite de l’homosexualité. Une fois encore, le réalisateur décide de parler d’un monde qu’il connaît, auquel il a accès. Il se retrouve rapidement aux commandes d’un film militant, et ce presque malgré lui. Et si sa famille avait été discutée, scrutée, et débattue un an plus tôt, c’est son intimité qui attire cette fois l’attention des médias.

La naïveté du jeune garçon aux manigances est piquée au vif. Mais si la vraie vie de réalisateur est plus corsée que prévue, Lionel Baier ne perd pas l’envie et l’objectif de raconter ses histoires et surtout de le faire avec un plaisir immense.

 

Double carrière

A 26 ans, il devient responsable du master en Cinéma à l’ECAL, « un hasard complet, une malhonnêteté absolue », pense-t-il alors. Il se prend au jeu, le prend comme son laboratoire. Puis, tout se met en place, la différence d’âge avec ses élèves croît. Treize ans plus tard, il  est toujours là, fidèle au poste, et apprécie toujours autant l’enseignement. « Ce statut me permet de me rappeler tous les jours que le cinéma, c’est l’art des jeunes gens et que plus l’on vieillit, plus il faut écouter ce qu’ils font ; car plus l’on vieillit, moins on est dans la plasticité que le cinéma demande. Et eux, ils y sont. Comme un vampire, j’ai besoin d’eux pour savoir comment continuer à réfléchir. »

Et puis surtout, il tient à continuer à faire des films, à raconter toutes sortes d’histoires. Il passe alors à la fiction. Sans pour autant que ce changement ait un sens particulier. Il est de ceux qui chérissent cette possibilité de passer d’un genre à l’autre et s’étonnent que ce passage à la fiction donne, à certains, l’impression d’aller toucher le Saint Graal. « C’est très présent dans la tête des Suisses, de façon très bizarre : la fiction est pour eux le vrai cinéma. Je suis très admiratif de gens comme Johan van der Keujken, Jacqueline Veuve, ou Richard, Dindo, qui ont fait des carrières dans le documentaire. Cette espèce de passion pour la fiction, j’ai toujours trouvé cela bizarre. Encore aujourd’hui, quand on remet le Prix du cinéma suisse, le dernier prix prestigieux annoncé est celui de la fiction, alors que la Suisse est l’un des pays les plus forts en termes de documentaires. C’est comme si nous décidions de renier notre horlogerie pour défendre la fabrication de voitures de masse. »

 

La reconnaissance internationale

Vient alors « Garçon stupide ». En 2004. Le succès est immédiat. Le film est salué par la critique, porté par ses distributeurs et suivi par le public. « Garçon stupide, pour moi, c’était l’envie de me confronter au marché français. Il se trouve que ça m’a ouvert plein d’autres marchés, bien sûr aux Etats-Unis, parce qu’il a été vendu un peu partout. Alors je me suis mis à penser que c’est bien de ne pas penser uniquement à la France, mais de faire des films qui vont aussi pour l’Amérique du Sud, pour l’Amérique du Nord, pour le marché de l’Est, etc. Cela m’a permis de pousser l’exigence encore plus haut, d’essayer d’aller encore plus loin. » S’enchainent « Comme des voleurs (à l’est) » et (2006)« Un autre homme » (2008). La carrière de Baier est définitivement lancée et installée. Il n’oublie alors pas son désir de candeur, cette envie de faire du cinéma entre amis. En 2009, Ursula Meier, Jean-Stéphane Bron, Frédéric Mermoud et lui, fondent ainsi Bande à part Films, à Lausanne. Ils se concertent sur leurs projets respectifs, s’encouragent et se soutiennent. Producteurs, ils travaillent en commun, représentent tour à tour leur réalisation. C’est un travail d’équipe dans tous les sens du terme. Baier les fera même intervenir dans « Les grandes ondes  (à l’ouest) », en tant qu’acteurs. « On est souvent très seul quand on travaille dans le cinéma. Puis il y a l’anxiété du réalisateur, quand il écrit, quand il réalise, quand il monte. Les autres (ndlr : ses quatre amis) m’ont toujours servi à comprendre ce qu’ils faisaient, comment ils travaillaient. On se téléphone souvent, parfois trois fois par jour, et parfois pour ne rien dire. Il y a des raisons professionnelles, mais c’est aussi pouvoir appeler quelqu’un à 2h du matin et lui dire que ça ne va pas, que je n’arrive pas à travailler, etc. Et surtout cela nous permet de pouvoir rire ensemble. »

Il y a deux ans, Lionel Baier fait son entrée sur la Piazza Grande avec « Les grandes ondes (à l’ouest) », également sélectionné en compétition officielle. Il se lance dans le cinéma populaire, celui qui le faisait rire, enfant. Le film séduit non seulement le public de Locarno, mais quitte nos frontières pour faire un jolie carrière française.

Il revient cette année avec « La vanité ». On y retrouve un nom : David Miller. Le personnage « condamné » à mourir dans « Low Cost », fiction réalisée avec un iPhone, sur commande du festival de Locarno en 2010. Mais cette fois, David Miller est Patric Lapp, ou plutôt l’inverse. Lui aussi se sait mourant et fait le choix de l’euthanasie. Un film sur la mort, non. Une comédie. Un long-métrage dont on oublie très vite le sujet pour s’amouracher de ses personnages.

Il sera donc cette année encore à Locarno dans ce festival qu’il aime tout particulièrement. Un souvenir de voyage avec ses parents à 15 ans. Un voyage qui l’a poussé depuis à y retourner religieusement. « Locarno a été une école de cinéma, raconte-t-il. Pour le jeune homme que j’étais à l’époque, c’était une occasion de voir des films et de rencontrer des réalisateurs. Ce qui est possible à Locarno, mais impossible dans d’autres festivals. J’ai par exemple vu « La Belle Noiseuse » à côté de Jacques Rivette ! C’est l’un des rares endroits où on peut voir la puissance du cinéma. Comment il a façonné le XXe siècle. Malgré tout ce qu’on peut dire de la Piazza, une fois assis devant l’écran, on ressent la force impensable du cinéma. »

 

Winnie Covo

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