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Le retour du fait main

Kathrin Halter
18 mars 2018

Rencontre avec Jürgen Haas, responsable de la filière Bachelor en animation à la Haute École de Lucerne.

Savez-vous où travaillent vos ancien·ne·s élèves une fois leur diplôme en poche et à quel taux d’occupation ?
Je ne connais aucun·e diplômé·e qui n’ait pas trouvé d’emploi, même s’ils ne travaillent pas tous directement dans l’animation. Nous avons récemment fait une enquête à ce sujet, et les résultats étaient plutôt positifs. C’est aussi lié au fait que depuis cinq ans, nous mettons davantage l’accent sur l’aspect artisanal de la formation. La pression qu’exercent nos diplômé·e·s sur la branche est bénéfique. Mais l’industrie cinématographique suisse demeure très petite, et se retrouve isolée au niveau européen à la suite de l’initiative contre l’immigration de masse de 2014.

La HSLU est la seule haute école en Suisse à proposer une filière en animation. Dans quelle mesure est-ce un avantage pour vous ?
Nous profitons bien entendu de ce monopole dans le domaine de l’animation. Mais nous sommes aussi confrontés à la concurrence européenne, et nous rivalisons avec d’autres écoles d’art qui proposent des formations similaires, comme par exemple la ZHdK avec son cursus en « Game design » ou la filière « Cast / Audiovisual Media ». Malheureusement, nous avons encore du mal à attirer les étudiant·e·s romand·e·s. Il semblerait que le principal obstacle soit d’ordre linguistique, même si nous sommes en mesure de proposer l’enseignement en anglais, et la plupart des enseignant·e·s et des étudiant·e·s parlent le français – nous nous débrouillons(il rit)! Cette année, nous avons 29 étudiant·e·s germanophones et une seule francophone, ce qui est dommage, parce que l’approche romande nous fait du bien.

Qu’est-ce qui a changé avec le transfert dans le complexe de Viscosistadt à Emmen ?
Après la deuxième étape en 2019, l’ensemble des filières et des ateliers de l’école sera réuni ici, en un seul lieu. Cela favorisera un sentiment d’appartenance. Le fait d’avoir un site centralisé nous aidera aussi à lutter contre l’exode dans la région de Lucerne : environ 80 pourcent des diplômé·e·s, et donc les nouvelles entreprises créatives, quittent la région pour s’installer à Zurich, Bâle ou Berne.

Vous espérez donc que plus de monde reste dans la région de Lucerne grâce au site de Viscosistadt ?
Ce serait idéal. Mais les pouvoirs politiques et économiques sont encore peu sensibles au problème. En comparaison avec d’autres régions, l’encouragement au cinéma en Suisse centrale est lamentable. La situation s’est un peu améliorée grâce à la Fonda- tion Albert Koechlin, mais il reste du pain sur la planche.

Parlons du cinéma d’animation. Malgré la numérisation crois- sante, il arrive encore souvent que les films d’animation soient créés sur papier. Quels sont donc les atouts de l’artisanal, du travail « analogique » ?

Le fond de l’affaire reste d’avoir une bonne idée et de trouver quelle forme donner au récit. Aucun ordinateur n’y changera rien : le moteur, la force créatrice, c’est l’être humain. Ensuite, un logiciel peut se charger de certains aspects de la réalisation. Chaque vague de digitalisation apporte un contre-mouvement artisanal.

On finit par saturer des infinies possibilités qu’offre le numérique. D’un point de vue évolutif, le lien entre le cerveau et la main existe depuis des millions d’années. Le besoin des personnes créatives de travailler un matériau de leurs mains demeure. Certains préfèrent travailler à l’ordinateur, c’est individuel – ni pire ni mieux.

La numérisation ne rend-elle pas de nombreux·ses animateur·trice·s superflu·e·s ?
Cette crainte ne s’est jamais vérifiée. Lorsqu’est apparue la capture de mouvement autour de
l’an 2000, une technologie permettant de saisir les mouvements du corps pour les appliquer à
un modèle virtuel, on se demandait ce qu’allaient devenir quantité d’animateur·trice·s.
Or on a constaté que ceux·lles-ci demeurent bien plus performant·e·s que les machines, surtout quand il s’agit de tâches compliquées. C’est vrai qu’on utilise des outils numériques, notamment pour certaines séries pour enfants commerciales créées à moindre coût, parce qu’ils permettent un travail beaucoup plus effi- cace. Mais c’est surtout le cas dans la production bas de gamme.

Aujourd’hui, les hautes écoles d’art doivent également faire de la recherche. Est-ce réellement faisable ?
Ce n’est pas le cas au niveau du bachelor, même si elle y a aussi sa place. Nous avons un Département de recherche qui est responsable de plusieurs projets. Par le passé, nous avons par exemple analysé l’ef- fet des dispositifs d’affichage dans les espaces publics ou la dramatur- gie des courts-métrages. Actuellement, nous avons un projet en copro- duction avec la SSR sur l’effet des contenus 360°. Il ne faut pas oublier que la notion de recherche est fortement influencée par les domaines des sciences naturelles et humaines – à ce niveau, les écoles artistiques sont toujours sur la défensive. Selon les directives de Bologne, tous les enseignant·e·s du niveau master devraient avoir un doctorat. Or je ne connais pas un seul film d’animation de référence qui soit l’œuvre d’une personne ayant un doctorat. Il est donc nécessaire d’établir un Ph.D. artistique pour être en conformité avec les prescriptions.

Une des rubriques de votre joli site internet s’intitule « Mieux que la folie ». Faut-il être un peu fou pour faire ce métier ? Faites-vous allusion à l’immense investissement personnel nécessaire pour l’exercer ?

D’une certaine façon. En tout cas, dans ce métier, la passion est indispensable, mais cela ne devrait pas aller jusqu’à la folie. Il faut garder les pieds sur terre, rester ancré dans la vie. C’est ce que nous essayons de transmettre à nos étudiant·e·s. En ce qui concerne l’énorme effort à fournir, il diffère de celui que nécessite par exemple la fiction, où il peut arriver qu’une cinquantaine de personnes passent la nuit dans laforêt pour un plan de trois secondes. L’animation exige un autre type de patience. On peut moins improviser, il faut travailler de manière extrêmement précise.

Pour terminer – peut-on typologiser les ani- mateur·trice·s ?
Hmmm...(il rit). Nous n’avons pas d’étudiant·e·s en débardeur et chemise à carreaux. Sinon c’est comme partout, il y a ceux et celles qui sont patient·e·s et ceux et celles qui le sont moins, les extraverti·e·s, les introverti·e·s. En tout, cas c’est un merveilleux médium qui mérite absolument qu’on y consacre une bonne partie de sa vie.

▶ Texte original: allemand

Le GSFA fête ses 50 ans

Le GSFA, Groupement Suisse du Film d’Anima- tion, fête cette année ses 50 ans. L’association des professionnel·le·s du cinéma d’animation a été fondée à Genève en 1968.

Le groupement marquera son anniversaire par une exposition itinérante consacrée au film d’animation en Suisse, dont le vernissage aura lieu pendant le festival Fantoche 2018, dans le Kunstraum Baden, à la fin du mois d’août. L’ex- position fera ensuite halte au festival Anima- tou à Genève, ainsi qu’à Bellinzone, Dietikon et Lucerne. Les animateur·trice·s ont aussi prévu de réaliser un film commun.

swissanimation.ch

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