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Dans les multiplexes, les spectateurs désapprennent à lire les sous-titres


15 février 2016

Beat Käslin, directeur de l’Arthouse Commercio Movie AG, nous parle de la lecture des sous-titres chez les jeunes, de la présence des films d’art et d'essai dans les multiplexes, de ce que la numérisation a changé au niveau de l'art et essai, ainsi qu'au niveau des versions doublées des films.

Propos recueillis par Kathrin Halter

 

L’Association Suisse du Cinéma d'Art s’engage actuellement à travers une série de spots publicitaires pour les versions originales au cinéma. Seriez-vous des idéalistes qui cherchent à s’opposer aux tendances du marché ?
Il y a certainement un brin d’idéalisme là-derrière, mais pas seulement. Nous défendons une certaine culture cinématographique et luttons pour sa survie. Pour commencer, nous refusons de montrer des films d'art et d'essai en version doublée.
Contrairement à la France ou l’Allemagne, la Suisse a longtemps été un cas particulier. La culture de la version orginale (VO) est ancrée plus profondément ici. En Allemagne, même les salles d’art et d'essai montrent Woody Allen ou Almodovar en allemand. Si nous nous y mettions aussi, ce serait une énorme perte. Il y a également des considérations économiques à prendre en compte, nous devons penser au maintien de notre entreprise. Nous voulons et devons continuer de nous distinguer des multiplexes.

Vos spots sont diffusés surtout dans les salles suisses d’art et d'essai. N’êtes-vous pas en train d’enfoncer des portes ouvertes ?
Les spots s’adressent à un large public. Il est nécessaire de rappeler les avantages de la VO. De nombreuses personnes ne se posent pas de questions à ce sujet. En même temps, les spots s’adressent à un public jeune, c’est pourquoi ils sont visibles également sur des plateformes comme Cineman. Nous aimerions également les diffuser à la télévision ainsi que dans les salles qui ne font pas partie de notre réseau.

Selon une étude de 2008, en Suisse, 71.6% des jeunes préfèreraient les versions doublées…
Oui, en règle générale, les jeunes préfèrent les versions doublées, parce qu’elles sont plus faciles à consommer, elles demandent moins d’effort. S’ils ont le choix, ils sont une minorité à préférer une version sous-titrée. Cela nous préoccupe. Mais nous devons penser à long terme. Si les jeunes spectateurs prenaient plus tard goût aux films d’art et d'essai, ils devraient pouvoir les voir en version originale. Si dans certains cinémas, les jeunes ne se voient proposer pratiquement plus que des versions doublées, comme c’est le cas à la télévision suisse, tôt ou tard, ils ne feront plus le pas vers la VO. Lire des sous-titres est une compétence qu’il faut développer avant qu’elle ne devienne une habitude. Aux Pays-Bas et en Scandinavie, les films qui passent à la télévision sont en version originale sous-titrée. Avant, même les blockbusters passaient au cinéma en VOst. Tout cela a énormément changé.

Les grandes productions d’art et d'essai grand public sont de plus en plus souvent proposées également en version doublée – dans les multiplexes.
Les distributeurs proposent des copies doublées des grandes productions d’art et d'essai lorsqu’ils estiment que le film a le potentiel de s’adresser aux deux secteurs, au public des multiplexes aussi bien qu’à celui des salles d’art et d'essai. Depuis que le coût des copies a baissé, il y en a beaucoup plus en circulation. Lorsqu’un film a un certain potentiel, et qu’il a un distributeur en France ou en Allemagne, certains distributeurs suisses alignent sa sortie sur la date de lancement française, respectivement allemande, afin d’avoir accès à une copie de la version doublée. A l’époque de l’exploitation analogique, il y avait beaucoup moins de copies en circulation, et celles-ci étaient généralement sous-titrées en allemand et en français. Pour des raisons de coût, les mêmes copies 35 mm étaient utilisées dans toutes les régions linguistiques. C’est pour cela que la culture VOst a pu se conserver si longtemps en Suisse. Prendre soi-même en charge le doublage d’un film est bien trop onéreux pour le petit marché suisse, et ne fait sens que dans le cas des films pour enfants en suisse-allemand.

A quel point cette évolution représente-t-elle un problème pour les salles d’art et d'essai ?
Il y a 15 ans, c’était inimaginable qu’un film de Pedro Almodovar passe dans les multiplexes ou dans les grandes chaînes de cinémas. Nous en ressentons bien sûr les effets, même si certains exploitants prétendent que les versions doublées s’adressent à un autre public. Je pense toutefois que le public n’est pas si clairement différencié  : le lieu et l’heure de la projection déterminent aussi le choix des spectateurs. Non seulement les chaînes de cinémas nous privent d’une partie de notre public, mais encore elles déshabituent les spectateurs à la lecture des sous-titres. Et les distributeurs, qui ont fortement renforcé cette tendance ces dernières années, y portent également leur part de responsabilité.

Dans quelle mesure la Suisse représente-t-elle un cas particulier en ce qui concerne la diversité des programmes ? On entend souvent dire qu’en matière de cinéma, Zurich peut rivaliser avec Paris.
Nous faisons certainement bonne figure en comparaison internationale, justement parce que nous avons une forte culture du cinéma d’art et d'essai, notamment à Zurich, mais aussi dans d’autres villes suisses. La diversité de l’offre cinématographique est toujours bien plus grande qu’elle ne l’a jamais été dans les villes allemandes de taille comparable. C’est justement parce que nous avons ici cette diversité, cette culture du cinéma, que nous voulons lutter pour sa survie.

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