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L'apprentissage sans fin de l'écriture

Propos recueillis par Kathrin Halter
03 janvier 2018

Quel est l’objectif des différents programmes, ateliers et autres laboratoires d’écriture de scénarios ? À qui s’adressent-ils ? Qu’est-il possible d’apprendre dans un tel cadre, et quelles sont les choses qu’on ne peut développer que soi-même ? Quelles sont les qualités d'un bon·ne consultant·e et quel est son impact sur les scénarios ? Deux auteur·e·s ont répondu à nos questions. Simon Jaquemet a écrit le scénario de son film « Chrieg » au sein du TorinoFilmLab, et Simone Schmid a participé à l’atelier d’écriture de Munich/Zurich avant de devenir scénariste professionnelle.

Simon Jaquemet est né en 1978 et a grandi à Bâle. Il fait ses études à la ZHdK dans la filière Film/Vidéo. Depuis 2005, il est réalisateur indépendant de films, de vidéoclips et de spots publicitaires. Son premier long-métrage « Chrieg », sorti en 2015, a été sélectionné au  festival de San Sebastian et a gagné, entre autres, le prix Max Ophüls. Son prochain film « Der Unschuldige » sortira en salle en 2018. Simon Jaquemet est membre fondateur du collectif 8horses.

«J’ai participé à plusieurs ateliers dans le cadre de l’écriture du scénario de « Chrieg », dont l’Atelier premiers plans et le Talent campus de la Berlinale. C’est le TorinoFilmLab qui a été le plus important pour moi. Il m’avait été recommandé par mon ami et collègue Tobias Nölle, qui y avait participé avec son projet « Aloys » et y avait fait de très bonnes expériences. Le fait d’y participer m’a moi aussi marqué, surtout parce qu’à Turin, nous nous sommes penchés sur des modes de narration individuels, sans s’attacher aux dogmes comme la structure en trois actes à l’américaine. Turin n’est peut-être pas le bon endroit pour quelqu’un qui s’intéresse à la dramaturgie classique ; on y cherche plutôt à concrétiser notre vision de la manière la plus personnelle et conséquente possible.

Le premier atelier (ScriptLab), consacré au développement et à l’écriture, consiste en trois stages d’une semaine répartis sur une année. Entre deux stages, qui se tiennent dans différents lieux à travers l’Europe, il y a des rendez-vous sur Skype. Le deuxième atelier (FeatureLab) concerne la production, la réalisation et la promotion.

Au ScriptLab, on travaille généralement en petits groupes, avec un·e consultant·e et quatre autres participant·e·s. Dans mon groupe, il y avait une Italienne, une Suédoise, un Chilien et une étudiante en analyse de scénarios d’origine russe – tout un éventail de points de vue. Nous étions accompagnés par la scénariste suédoise Marietta von Hausswolff von Baumgarten. Elle modérait les discussions de façon à nous permettre d’aboutir à nos propres conclusions et d’avoir nous-mêmes de nouvelles idées. Elle m’a encouragé à pousser mes idées plus loin, à les affûter et à les transposer sans compromis, mais elle m’a également aidé à remettre en question les faiblesses de mon projet. Les retours des autres participant·e·s étaient eux aussi précieux. Je dois beaucoup notamment au Chilien Niles Atallah, qui a une approche très expérimentale – c’est lui qui m’a donné l’idée d’imaginer le groupe de jeunes dans « Chrieg » comme une meute de chiens. L’atelier s’est terminé sur un pitching au Meeting Event de Turin devant un public de producteur·trice·s, de programmateur·trice·s de festivals et de distributeur·trice·s mondiaux, suivi de rencontres individuelles.

Je n’avais pas vraiment de réseau avant de participer au TorinoFilmLab et aux autres ateliers. Maintenant, j’ai beaucoup de contacts dans le milieu du cinéma d’art et d'essai européen, qui n’est pas si grand que ça. Comme le TorinoFilmLab a intérêt à ce que les films qui en sont issus soient invités dans de bons festivals, il les soutient activement. C’est ainsi que « Chrieg » a été invité par exemple au festival de San Sebastian.

En parlant avec de jeunes réalisateur·trice·s du monde entier, j’ai réalisé à quel point les conditions chez nous sont bonnes. En comparaison avec le Chili ou la Grèce, la Suisse est presque un eldorado… Dans d’autres pays, la décision de faire du cinéma comporte souvent un réel risque de pauvreté. Il faut être vraiment passionné·e et prêt à souffrir pour s’engager dans cette voie. Moi, j’ai pu travailler sur mon scénario pendant deux ans tout en vivant de l’aide à l’écriture.

C’était déjà difficile à l’époque d’être sélectionné pour participer au TorinoFilmLab. Depuis que nous ne sommes plus membres du programme Media, c’est malheureusement devenu quasiment impossible pour les Suisse·sse·s, qui sont en compétition avec le reste du monde pour décrocher une des quelques rares places réservées aux ressortissants de pays non-européens. Swiss Films et Mediadesk, à travers des partenariats directs avec les laboratoires, s’efforcent d’améliorer les chances de participation pour les réalisateur·trice·s suisses. Je recommande néanmoins vivement à tous les intéressé·e·s de postuler.

Pour mon nouveau film « Der Unschuldige », j’ai participé au Producers Pooling Program (PPP) de Focal avec 8horses et trois autres jeunes compagnies de production. Le PPP est destiné aux producteur·trice·s qui cherchent à mettre sur pied leur propre programme de formation continue. Notre concept proposait entre autres des sessions d’écriture de scénario avec différents auteur·e·s et producteur·trice·s. Le programme m’a permis de travailler sur mon scénario avec le consultant Franz Rodenkirchen, que j’avais rencontré dans le cadre du TorinoFilmLab. Lui non plus ne vous dira jamais que quelque chose est bon ou mauvais, il n’intervient pas et ne fait pas de propositions. Il s’efforce plutôt d’analyser au plus près les enjeux du projet en question. Un ·e bon·ne conseiller·ère scénariste est comme un bon psychologue, il ne vous dit jamais ce que vous devez faire, mais vous aide plutôt à trouver vous-même le chemin pour raconter au mieux votre histoire.

Je suis de nature plutôt timide et préfère travailler seul, mais j’ai appris à quel point il est important et enrichissant de se prêter aux échanges au-delà de nos frontières. À mon avis, ça fait partie du métier. Si on veut qu’un film soit vu en-dehors de la Suisse, il faut aussi s’exposer à une concurrence internationale pendant la phase de développement, et savoir profiter de cet échange. Je recommande surtout aux jeunes réalisateur·trice·s de participer aux plateformes internationales comme les laboratoires et ateliers d’écriture de scénarios et les marchés de coproduction.»

 

Simone Schmid a travaillé pendant huit ans comme journaliste pour la NZZ am Sonntag et le Tages-Anzeiger avant de participer en 2014 à l’atelier d’écriture de Munich/Zurich. Le scénario qu’elle y a écrit, « Goodluck », s’est vu décerner le prix Script Talent au Filmfest de Munich et a donné lieu au téléfilm « Im Nirgendwo » en 2016. Elle a fait partie pendant deux ans de l’équipe d’écriture de la série policière SRF « Der Bestatter ». Elle est l’auteure du scénario de « Zwingli – der Reformator » (réalisé par Stefan Haupt) et travaille actuellement sur deux projets que Sabine Boss devrait réaliser, « Di schöni Fanny » (d’après le roman de Pedro Lenz) et « Der Manager ».

«Quand je débutais comme journaliste à la rubrique nationale de la NZZ am Sonntag j’ai écrit un reportage sur un étrange décès survenu dans le Diemtigtal. En février 2009, un jeune homme de couleur avait été trouvé mort de froid dans la neige devant une cabane d’alpage. J’ai passé six mois à essayer de découvrir son identité et ce qui lui était arrivé, en vain. Comme cette histoire ne me lâchait plus, j’ai voulu l’apprivoiser par le biais de la fiction. C’est ainsi qu’est né le synopsis sur la base duquel j’ai postulé pour l’atelier d’écriture de Munich/Zurich.

Une dizaine de candidat·e·s avaient été invité·e·s à passer l’entretien, dont trois ont été pris·es. J’avais l’impression qu’ils choisissaient plutôt des personnes qui non seulement étaient en train d’écrire un scénario, mais qui avaient l’intention de se consacrer à l’écriture de manière professionnelle. Je trouvais intéressant que seule la moitié des participant·e·s soient issu·e·s d’écoles de cinéma – les autres venaient, comme moi, d’autres filières. Trois Suisse·sse·s ont été sélectionnés : Niccolò Castelli, Ivana Lalovic et moi-même.

Pour des raisons d’organisation, la phase de développement a eu lieu à Zurich pour les participant·e·s suisses. Nous nous sommes rencontrés six fois au cours de l’année pour discuter de nos projets, depuis l’exposé jusqu’à la dernière version du scénario. Trois mentors nous accompagnaient. Ces rencontres étaient suivies d’un séjour d’une semaine à Munich, où on nous apprenait les fondements de la recherche et de la dramaturgie, ainsi que les aspects juridiques. J’ai trouvé dommage que les Suisse·sse·s, les Autrichien·e·s et les Allemand·e·s soient séparés en groupes distincts, mais les échanges entre les participants étaient très intensifs, et nous lisions toutes les versions de nos scénarios respectifs par le biais d’un groupe Facebook. Le programme a été très enrichissant pour quelqu’un comme moi, qui venait du journalisme et n’avait pas suivi d’école de cinéma. Nous débattions surtout d’aspects touchant aux personnages, aux thèmes et aux choix narratifs.

Les mentors ne proposaient jamais de solutions, c’était à chacun de se débrouiller avec les miroirs qu’on lui tendait de toutes parts. J’y ai appris à mieux gérer les critiques – ce qui est plutôt utile dans un métier qui vous y confronte constamment. C’était bénéfique de réaliser à quel point la critique est souvent subjective – il arrivait que la même scène provoque des réactions diamétralement opposées. On est donc renvoyé à soi-même. Pendant tout le premier semestre, je perdais complètement confiance en mon histoire à chaque fois que l’on me faisait une critique. C’est quand j’ai décidé, par pur désespoir, de changer de perspective pour raconter l’histoire depuis le point de vue d’une journaliste plutôt que d’un réfugié que j’ai repris pied. Je m’étais longtemps refusée à cette option qui me semblait trop facile, mais j’ai senti à quel point l’authenticité me faisait gagner d’un point de vue narratif. Ce processus d’apprentissage a été très important pour moi.

La formation s’est terminée sur un pitching au Festival du Film de Munich. Nous devions y présenter notre projet devant 500 professionnel·le·s, pour la plupart allemand·e·s. Je voyais approcher l’événement avec beaucoup d’appréhension. Mais tout s’est bien passé et cela m’a permis de faire de nombreuses rencontres, dont les producteurs de Turnus Film, qui ont tourné le film par la suite. Tous les scénarios ne sont pas réalisés, loin de là. L’année en question, seuls deux projets sur dix-sept ont vu le jour. Et tous les participants ne finissent pas par prendre pied dans la branche non plus.

En ce qui me concerne, l’atelier d’écriture a représenté un véritable tournant dans ma vie. Le fait d’y participer a tout chamboulé, dans le bon sens. Aujourd’hui, je vis de l’écriture de scénarios. La demande est importante et les auteur·e·s qualifié·e·s manquent. Et j’adore mon métier ! L’indépendance qu’il offre, les recherches, la liberté de la fiction.

C’est d’ailleurs grâce à l’école-club Migros que tout a commencé. J’y avais suivi un cours donné par Urs Bühler. À l’époque, il n’y avait pas de formation à l’écriture de scénarios en Suisse. Heureusement, ça a changé.

 

▶  Texte original : allemand

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