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Révolutionnaire, pionnier, non conformiste – Alain Tanner nous a quittés

Christoph Egger
12 septembre 2022

Alain Tanner (links) avec François Simon, 1969 © Collection Cinémathèque suisse

Alain Tanner est décédé à Genève, le 11 septembre dernier, à l’âge de 92 ans. En plus de trois décennies, il a réalisé quantité de courts métrages et une vingtaine de longs qui ont laissé une marque indélébile sur le Nouveau Cinéma suisse.

Dans ses premiers films, ses personnages souffraient de la Suisse avec une certaine dose d’humour et d’optimisme. Avec les années, ils deviennent désabusés, dépités par la misère du monde capitaliste. Malgré tout, le Genevois Alain Tanner a laissé une œuvre extrêmement importante pour le cinéma helvétique.

Né le 6 décembre 1929 à Genève, Alain Tanner y obtient un diplôme de l’Administration maritime et fonde avec Claude Goretta le Ciné-club universitaire. En 1955, les deux partent à Londres faire un stage au British Film Institute, où ils se chargent de sous-titrage, de traductions et de divers travaux d’archivage. En 1957, ils coréalisent un documentaire de vingt minutes sur la vie nocturne autour de Piccadilly Circus, « Nice Time ». Le film leur vaut un prix au festival de Venise la même année.

Tanner apprend les ficelles du métier à la BBC, puis travaille comme cinéaste à Paris avant de rentrer à Genève, où il réalise des dizaines de reportages pour la Télévision suisse romande, ainsi que plusieurs films qui forgent sa réputation : « Ramuz, passage d’un poète » (1961), « L’école » (1962), « Les Apprentis » (1964) ou « Une ville à Chandigarh » (1966). En 1962, il cofonde l’Association suisse des réalisateurs.

Ce sont les fictions que Tanner réalise durant les cinq premières années de sa carrière qui font sa renommée. L’œuvre des cinq suivantes – jusqu’en 1979 avec « Messidor » – vient étoffer et consolider l’image que nous avons du cinéaste. Toutes les fictions qui viennent après – une douzaine quand même – montrent plutôt, mis à part quelques moments réussis, le désarroi d’un artiste qui va jusqu’à revisiter ses propres films pour des auto-remakes

Ses débuts dans la fiction sont marqués par des conditions financières très modestes, qu’il déjoue avec une bonne dose d’ingéniosité et de créativité. Le budget de « Charles mort ou vif » (1969), son premier long métrage, s’élève à 120’000 francs – un montant dérisoire même à l’époque, et qui ne permet quasiment pas de payer d’honoraires. En 1977, à l’apogée de son succès, Tanner déclare que « pour un temps, détruire, patiemment, ça fait partie aujourd’hui du travail ». Ce n’est pas l’image elle-même que s’efforce de détruire « Messidor » – le film est un tour de Suisse d’une certaine générosité visuelle –, mais plutôt l’image d’un pays dont la beauté des paysages sert de décor à la fuite en avant désespérée et absurde de deux jeunes filles. Puis, sentant qu’il a épuisé la Suisse à la fois comme lieu et comme sujet, il la quitte pour tourner en Irlande « Les Années lumière ». Le film, qui obtient le Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes, en 1981, est à la fois une fable sur les rêves de grandeur brisés et une critique un peu simpliste de notre civilisation. « Une flamme dans mon cœur » (1987), avec et écrit par Myriam Mézières, dépeint un amour fou entre Paris et Le Caire avec un dévoilement de soi encore jamais vu dans le cinéma suisse.

À propos d’« Une flamme dans mon cœur », Alain Tanner annonce que le scénario ne l’intéresse plus : la surpréparation, le trop-écrit, « ça m’emmerde ». Non seulement cette nouvelle spontanéité le mène vers des résultats artistiques de plus en plus déplorables, mais elle marque aussi un grand tournant : la fin de sa collaboration avec John Berger. Si Tanner a longtemps été le cinéaste suisse le plus connu dans le monde anglo-saxon, il le doit aux films réalisés avec la complicité du Britannique : après son deuxième opus « La Salamandre » (1971), « Le Milieu du Monde » (1974), et le plus connu, « Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 » (1976). « Le retour d’Afrique », ingénieux huis-clos, est aussi basé sur une idée de Berger. Ses scénarios à la facture impeccable et pleins d’esprit amènent cet humour, aussi dans la mise en scène, qui disparaît de l’œuvre de Tanner après son départ. La tragédie de Tanner, c’est qu’il a passé plus de la moitié de sa carrière artistique sans jamais retrouver une puissance expressive comparable.

Qu’à cela ne tienne, le cinéma suisse se souviendra encore longtemps d’un cinéaste qui durant une décennie charnière lui a apporté un élan et une vision artistique dont lui seul avait le secret.

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