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Rencontre avec Rachel Schmid

Kathrin Halter
16 septembre 2022

Rachel Schmid dirige Focal, la Fondation de formation continue pour le cinéma et l’audiovisuel, depuis mars 2019. Elle nous parle de la réorganisation de la fondation, de la nécessité d’un changement de paradigme dans l’industrie cinématographique, et de la réaction de Focal face à la pénurie de compétences.

Vous dirigez Focal depuis plus de trois ans, d’abord en tandem avec Nicole Schroeder, puis seule depuis 2020. Comment se sont passés les débuts ?

Nous nous sommes retrouvées dans un environnement très difficile. L’urgence des réformes était telle que nous avons dû attaquer plusieurs fronts à la fois. Un changement majeur s’imposait notamment au niveau de la culture d’entreprise. Nicole Schroeder, qui travaillait au sein de Focal depuis 12 ans, a décidé de quitter la fondation parce que le mandat à temps partiel ne correspondait plus à la grande charge de travail. Nous étions très bien préparées pour la codirection et notre collaboration a très bien fonctionné, le problème n’était pas là.

 

Vous avez restructuré la fondation de fond en comble, selon les principes de bonne gouvernance. En quoi cette réforme consiste-t-elle ?

Nous avons entrepris de désenchevêtrer les responsabilités et de clarifier les rôles à tous les niveaux, du conseil de fondation à la direction en passant par les responsables de programme. Auparavant, Focal était structurée de manière familiale et avait grandi de manière organique, un peu comme les Journées de Soleure. Les niveaux de la gestion et de l’opération étaient fortement imbriqués, ce qui causait différents problèmes. Mettre en place un cadre de travail collaboratif et soucieux d’égalité, et établir des processus de travail transparents, a été un vrai tour de force.

 

Focal est-elle tout simplement devenue trop importante pour continuer de fonctionner comme une entreprise familiale ?

Il n’est pas question de taille mais de professionnalisme. D’ailleurs, notre budget global a diminué depuis mon arrivée. Avant, plus de la moitié de nos dépenses partaient à l’étranger, pour des programmes lourds en ressources humaines, même si leur financement était partiellement couvert par des partenaires. La restructuration nous a permis d’augmenter notre offre en Suisse, même si nous disposons de moins de moyens, finalement. Seuls quelques programmes très spécifiques ont encore lieu à l’étranger.

 

Quel degré de coopération existe-t-il entre Focal et les institutions européennes ?

Il y a deux aspects à cela. D’un côté, nous nous efforçons d’aider les professionnel·le·s suisses du cinéma à intégrer les meilleurs programmes européens possible. Nous collaborons avec Media Desk Suisse dans ce sens. Nos partenariats nous ont permis d’assurer deux places dans deux programmes très difficiles d’accès.

Mais nous cherchons aussi à développer notre présence à l’étranger. Or il est devenu plus difficile de trouver des partenaires pour financer nos programmes depuis notre sortie du réseau Creative Europe en 2014. Je m’efforce de compenser cela à travers mon réseau, constitué pendant mes années en tant que directrice de Media Desk Suisse et déléguée d’Eurimages. Nous devons néanmoins beaucoup investir dans la promotion de nos offres en Europe.

 

En revanche, inviter des spécialistes étrangers en Suisse ne pose pas de problème ?

Absolument pas. En plus, la Suisse est attractive, et pas seulement du point de vue des rémunérations. Environ la moitié de nos intervenants viennent de l’étranger.

 

Focal compte de nouvelles collaboratrices : Jacqueline Surchat a été remplacée en septembre 2021 par Maya Fahrni, et cet été Géraldine Rod est venue prendre le relais d’Anna Luif.

Nous sommes reconnaissants pour les longues collaborations. Je pense néanmoins que cela a du sens que les responsables de programme changent de temps à autre. Nous tenons également à ce que nos collaborateur·trice·s soient réellement actif·ve·s dans le domaine et qu’ils et elles soient proches de la branche. Nos nouvelles collaboratrices ont apporté de nouvelles idées et le travail en équipe est devenu beaucoup plus intense.

 

Est-il question de professionnalisation ?

Nous insistons sur le fait que nos intervenant·e·s sont des gens du métier et non pas des pédagogues. Mais les exigences en matière de formation ont changé. Quand nous sommes passés en mode hybride, à cause de la pandémie, nous nous sommes inspirés de la Haute École pédagogique de Zurich. Nous maintenons certains des changements mis en place. Ce qui est difficile, c’est que les cours deviennent de plus en plus courts et donc plus denses. L’industrie du cinéma compte une centaine de métiers différents, une liste qui s’allonge régulièrement. Actuellement, notre offre en couvre 80. Nous sommes en train de nous diversifier, non seulement à l’intention des métiers créatifs, mais également des métiers techniques, où on observe une réelle pénurie de compétences.

 

Quelles sont les causes de cette pénurie ? Et comment y faites-vous face ?

Ses causes sont en partie structurelles : les écoles forment beaucoup de jeunes dans les domaines de la réalisation, du scénario ou de l’image, mais il n’existe toujours pas de formation en Suisse destinée aux technicien·ne·s. Les domaines les plus touchés sont ceux des directeur·trice·s de production, des assistant·e·s de production et des régisseur·euse·s. Il y a un réel déséquilibre à ce niveau-là. Les associations veulent faciliter les reconversions, et nous sommes en passe de créer les formations correspondantes.

 

Jusqu’à maintenant, on apprenait donc « sur le tas » ?

Oui. D’ailleurs, ça reste un bon moyen d’apprendre ces métiers. Le problème, c’est que, de nous jours, les personnes se retrouvent fréquemment dans des fonctions où elles sont dépassées, par exemple elles passent trop rapidement de la position d’assistant·e à responsable de production. Un de nos objectifs est d’éviter que les professionnel·le·s n’abandonnent leur métier. Nos formations peuvent contribuer à cela. Il s’agit notamment de développer des compétences générales (soft skills), comme la gestion de conflits, les techniques de distanciation, la résilience, le marketing personnel – autant de compétences qui sont essentielles dans tous les métiers.

Mais la branche a aussi besoin d’un changement de paradigme. Une collègue suédoise m’a récemment parlé du nouveau rythme qui s’est établi dans son pays : quatre jours de tournage, trois jours de pause. Les productions n’en deviennent pas plus onéreuses, juste plus longues. Elles deviennent surtout plus attractives. De nos jours, les jeunes veulent pouvoir mieux concilier travail et vie personnelle. Nous savons tous que travailler dans le cinéma peut rendre malade.

 

Est-ce qu’une telle évolution se dessine également en Suisse ?

Pas du tout. Mais nous devons nous demander comment rendre le travail dans le cinéma plus attractif. De nombreuses industries créatives nous ont dépassé·e·s à ce niveau-là. L’industrie cinématographique reste organisée de manière très hiérarchique. Elle est aussi difficile à vivre, dans le sens où des périodes de surcharge alternent avec des périodes de chômage. C’est un problème structurel sur lequel nous pouvons agir, comme pour la durabilité.

 

Comment impose-t-on de tels changements – à travers les leviers de l’encouragement au cinéma ?

Il en va de même que pour l’égalité des chances – ce sont des choses qu’on ne peut pas imposer par le haut. Le changement doit venir plutôt du bas, avec les nouvelles générations. Les jeunes entreprises de production travaillent déjà autrement : on peut constater davantage de collectifs, et de nouvelles formes de collaboration entre les producteur·trice·s. Je trouve ça passionnant.

 

Vous avez dit quelque part que Focal est un « goulet d’étranglement » pour la relève. Qu’entendiez-vous par cela ?

Pour prétendre à une formation professionnelle, il faut généralement présenter des qualifications supplémentaires. Une cinquantaine de jeunes sortent chaque année des écoles de cinéma. C’est beaucoup, et nous sommes forcés de sélectionner. Ceci malgré la nette augmentation, sous ma direction, des moyens à disposition pour les jeunes de moins de 35 ans. Notamment à travers Stage Pool, le programme de stages liés à des projets et à des entreprises, une évolution dont je suis très fière.

 

Comment réagissez-vous aux nouveaux besoins qui découlent de l’acceptation de la « Lex Netflix » ?

Nous avons déjà fait de premières expériences avec des plateformes de streaming. Nous avons par exemple eu l’opportunité de réaliser un programme de formation continue (Production Value) en Inde pour le compte de Netflix. En ce qui concerne la nouvelle loi sur le cinéma, nous allons prendre en main le problème de la pénurie de compétences, et proposer une offre destinée aux nouvelles professions qui apparaîtront avec les plateformes. Je pense par exemple au reporting comptable, très complexe, ou à la budgétisation et à la planification des tournages, deux domaines qui vont beaucoup changer. Les plateformes fonctionnent autrement que les télévisions : les budgets et les plannings de production sont élaborés en amont du scénario, ce qui implique une tout autre planification.

 

Biographie

Rachel Schmid (1964) dirige Focal depuis mars 2019. Elle commence sa carrière en 1987 comme productrice de théâtre et de films. En 1999, elle se spécialise en tant qu’experte en développement de scénario. Elle est ensuite directrice de Media Desk Suisse, entre 2005 et 2011, puis directrice adjointe du Master Film à la ZHdK. De 2012 à 2019, elle est déléguée Eurimages de l’Office fédéral de la culture et membre de commissions dans divers organismes d’encouragement du cinéma. Elle est par ailleurs l’auteure de plusieurs études sur l’encouragement du cinéma. Rachel Schmid a étudié l’économie d’entreprise, la philologie allemande et lethéâtre à Zurich, Berkeley et Paris. Elle a aussi suivi des études postgrades en gestion culturelle à Hambourg.

 

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