«De Noche los Gatos son Pardos» de Valentin Merz est le seul film suisse en Compétition internationale à Locarno. Portrait du réalisateur.

Quel duo : Adi (Adrian Merz) charrie sans répit son frère Valentin (Valentin Merz), jusqu’à devenir carrément abusif quand ils confectionnent ensemble des space cakes. Une fois, il dépasse les bornes et se fait remettre à sa place par Valentin. Suivent quelques moments de tendresse fraternelle, mais la dynamique est imprévisible, en dents de scie.

« Brüder – Ein Familienfilm » (2020) est un court métrage documentaire montré pour la première fois à Visions du Réel. Les frères Merz s’y incarnent eux-mêmes, mais le réalisateur du film parle d’un jeu de rôle, d’une subtile distanciation, d’une version fictionnalisée des protagonistes. Les scènes étaient largement planifiées à l’avance et mises en scène, un dispositif qui confère à Merz une grande liberté et qui lui permet de plus facilement aborder la sphère intime.

Il en va de même pour son premier long métrage « De Noche los Gatos son Pardos » (2022), dans lequel il pousse encore un peu plus loin son expérimentation avec la fiction. Seul film suisse sélectionné en Compétition internationale à Locarno, « De Noche » devrait non seulement séduire par son langage visuel suggestif, son ambiance et la candeur de sa mise en scène, mais encore établir Valentin Merz en tant que réalisateur montant et cinéaste queer.

 

Du graphisme au cinéma

Valentin Merz (*1985) grandit à Zurich, où il suit une formation de graphiste et de typographe, avant de se rendre pour un an à Mexico City, en 2007, à l’âge de 21 ans. Il y travaille d’abord comme graphiste. Ce n’est que progressivement qu’il s’intéresse au cinéma, en commençant par Fassbinder, qu’il découvre par le biais du théâtre, séduit par le caractère frontal de ses films. À Ciudad Juarez, il travaille sur le plateau d’un film indépendant américain, et tient un petit rôle de prostituée transsexuelle.

Entre 2009 et 2014, Valentin Merz vit à Berlin, où il travaille surtout dans le domaine du théâtre. Il apparaît dans trois films de Cyril Schäublin, avec lequel il renoue à Berlin. De 2014 à 2017, il étudie le cinéma à la Haute École d’art et de design de Genève. Pendant et après ses études, il crée des vidéos pour diverses productions de la compagnie de théâtre HORA. Il fonde en 2018 la société de production Andrea Film, avec laquelle il réalise trois courts métrages, avant son premier long métrage « De Noche los Gatos son Pardos ».

Ce dernier opus raconte le tournage, dans la campagne française, d’un film érotique en costumes d’époque, inspiré du marquis de Sade. Lorsque le réalisateur (Valentin Merz) disparaît, la police locale enquête. Puis le chef opérateur et amant du réalisateur s‘éclipse à son tour et, poussé par une mystérieuse promesse, arrive sur la côte pacifique du Mexique.

« De Noche » est un métafilm, dans le sens où il brouille les frontières entre le tournage et la vie privée des collaborateur·trice·s (fictifs·tives), tout en reflétant de manière espiègle le travail sur le plateau. Mais il va encore plus loin, en ce que certains des membres réels de l’équipe de tournage incarnent leur propre rôle dans la fiction : ainsi, le chef opérateur Robin Mognetti incarne le caméraman dans le récit, de même que le perchiste et d’autres collaborateur·trice·s. À travers ce type de doubles rôles, Merz cherche à déjouer la frontière entre ce qui se passe devant et derrière la caméra, et à transformer la dynamique sur le plateau. Ce faisant, il remet également en question la position (et l’autorité) du réalisateur (la sienne, donc), comme quand son rôle exige de lui qu’il se déshabille devant les autres – combien de réalisateurs font-ils cela ?

Le tournage s’est fait sur la base d’une série de points d’intrigue plutôt que d’un scénario tout fait, ce qui a permis de travailler certaines scènes sur le vif avec les protagonistes. Cette ouverture dans l’approche tout comme le fait que le film traite en réalité d’autre chose que de la résolution d’une affaire criminelle avaient déjà valu à Valentin Merz le soutien du Locarno Festival en début de parcours : après que le projet avait gagné le concours Fast Track de la Zürcher Filmstiftung en 2019, le film encore inachevé (il n’en existait que 74 minutes) avait été invité l’année dernière dans le cadre de la section First Look de Locarno Pro, où le jury lui avait décerné le premier prix (le Cinegrell First Look Award). On verra bientôt si l’engouement se retrouvera du côté du public. 

 

« De Noche los Gatos son Pardos »

de Valentin Merz, Andrea Film

Jeudi 11 août, 16 h 45

Fevi (Locarno)