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Olena Kyrychenko: «Ce projet m’a permis de me protéger»

Adrien Kuenzy
31 mai 2022

Olena Kyrychenko, 25 ans, vit à Kiev. © Nikita Thévoz

La cinéaste ukrainienne a présenté son premier film à Visions du Réel. Selon elle, filmer en temps de guerre est une nécessité.

« Je ne suis qu’une femme avec une caméra. » Olena Kyrychenko fait preuve d’une grande modestie, mais aussi de beaucoup de courage. À 25 ans, la cinéaste ukrainienne présentait à Visions du Réel « The Earth is Spinning », son premier court métrage, tourné avant la guerre. Elle y relate sa vie de famille pendant le confinement, à Novovolynsk, petite ville située à la frontière polonaise. Et puis vient la mort inéluctable de son père malade. La réalisatrice filme alors son quotidien troublé, pour garder des traces et échapper à la tristesse. Vivant aujourd’hui à Kiev, dans ce pays déchiré, elle ne lâcherait sa caméra pour rien au monde. Rencontre.

 

Dans « The Earth is Spinning », on ressent l’urgence de filmer. Ce court-métrage vous a-t-il aidé à franchir un cap ?

Ce projet m’a surtout permis de me protéger psychologiquement, tout en racontant l’histoire d’une mère qui vit dans la douleur. J’ai réalisé ce film pendant mes études à l’université, c’était très dur pour moi de dépeindre tout cela. Aujourd’hui, je n’arrive toujours pas à le visionner sans ressentir des émotions vives.

 

Vous captez des détails, le mouvement de l’eau, des objets du quotidien. Que représentent ces moments suspendus ?

Au tout début, j’ai tenté de rassurer ma mère en évitant au maximum de la filmer, en braquant ma caméra ailleurs, ou juste sur ses mains. Cela m’a finalement aussi donné l’occasion de mettre en lumière une autre réalité, de m’extraire du quotidien en portant un regard extérieur. C’est devenu ensuite un véritable parti pris esthétique.

 

Depuis la fin de votre film, une guerre a éclaté. Comment avez-vous vécu les événements ?

Au début, j’étais pétrifiée, j’ai vécu dans les caves. Et dès la deuxième semaine, quand le premier choc est passé, j’ai aidé toutes celles et ceux dans le besoin, en m’engageant comme bénévole partout où je le pouvais. C’est devenu une priorité. Parallèlement, j’ai continué à filmer, par bribes, sans me forcer, car cela demande une énergie immense. Je n’arrive plus aujourd’hui à m’adonner totalement au cinéma, le corps et l’esprit ne suivent plus. Mais je n’ai pas lâché ma caméra, je filme la vie des gens, les paysages, tout ce que je peux. Ces derniers jours, en Suisse, je me suis réveillée entourée de calme et de belles choses. Ce n’est plus ma réalité et je compte les jours qui me séparent de mon retour chez moi.

 

Pourquoi est-ce important de filmer votre vie aujourd’hui ?

Ça me permet de tenir. C’est un mécanisme similaire à celui de mon premier film. Une façon de regarder au-delà, de moins sentir les peines. Je me cache en quelque sorte derrière ma caméra. Quand quelque chose explose derrière une fenêtre, je ne le vis pas de la même manière en tenant cet objet. C’est ma façon de me sentir ailleurs. Les gens que je filme se transforment aussi derrière l’objectif, ils rigolent, se libèrent. J’ai besoin de garder cela en mémoire. De sentir aussi que je crée une archive pour les générations futures. Je veux révéler cette vie quotidienne, car derrière les batailles, les uniformes militaires, il y a des êtres humains, toutes celles et ceux qui survivent au mieux, qui se réveillent chaque matin. L’histoire a, je trouve, souvent oublié cette dimension. Ensuite, je filme aussi beaucoup de bombardements arrivant pendant la nuit. J’attrape parfois juste une personne qui court, un téléphone qui sonne, ça me bouleverse à chaque fois. Dans ma résidence d’étudiants, chacun s’organise différemment. Certains préfèrent rester dans le noir, d’autres font la fête ou jouent aux jeux vidéo. Il y a toujours celles et ceux qui pleurent, et les autres qui rigolent.

 

Qu’allez-vous faire en rentrant ?

J’ai eu cette idée de tenter d’obtenir une accréditation presse pour me rapprocher des lignes de front. Mais c’est devenu très difficile, car ces demandes deviennent trop fréquentes. Et il faut se munir d’un casque militaire, d’une veste de protection, et je crains forcément pour ma vie. 

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