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Les tournages au secours du tourisme valaisan

Pascaline Sordet
19 juin 2021

«Goldfinger», le James Bond tourné au col de la Furka dans les années 1960 et sur lequel le Valais communique.

Telle région propose-t-elle des incitations financières ou non? La question se pose parfois au moment de choisir un lieu de tournage plutôt qu'un autre, d'où l'intérêt de disposer d'un outil spécifique pour attirer les productions... et leurs retombées économiques. C'est désormais le cas du Valais.

Malgré les frontières internationales partiellement fermées depuis seize mois, la volonté d’attirer des tournages étrangers en Suisse ne faiblit pas. Elle était déjà à la base de la création du PiCS en 2016, l’outil fédéral conçu pour encourager les coproductions. Au niveau régional, plusieurs cantons se sont dotés ces dernières années de bureaux de soutien aux tournages : la Film Commission Zurich, la Ticino Film Commission et la Film Commission Lucerne and Central Switzerland. Dernier en date, le Valais a annoncé à la fin du mois d’avril la création de Film Location Valais.
Toutes ces structures offrent des aides logistiques pour chercher des lieux de tournage, proposer des équipes locales ou négocier avec l’hôtellerie et les autorités. L’espoir, basé sur l’expérience concrète d’autres régions et des études sur les retombées économiques de la culture, est de créer des revenus pour les industries techniques et touristiques et des opportunités de travail pour les Suisse·sse·s.

 

Des commissions avec et sans argent
La grande source d’inspiration, souvent citée en Suisse de par sa proximité géographique et topographique, est la Cine Tirol Film Commission. Une commission expérimentée qui s’enorgueillit notamment d’avoir accueilli et soutenu le tournage de « 007 Spectre », le James Bond sorti en 2015, dans la station de ski de Sölden. Surtout, elle dispose d’un outil financier sous forme de production incentive, qui permet d’allouer des fonds à des productions, de manière sélective, en fonction des retombées économiques prévues et de la représentation thématique du Tyrol.

Toutes les commissions de la planète proposent des aides logistiques et d’organisation. Elles sont nombreuses à offrir des soutiens financiers, conditionnés à des dépenses effectives dans la région qu’elles promeuvent. Ce n’est le cas ni de Zurich ni de Lucerne. Disposer d’un fonds de soutien, proposer des rabais d’impôts (tax rebate) ou des remises en espèce (cash rebate), augmente pourtant l’attractivité d’une région et la probabilité de décrocher un gros tournage. « Sils Maria » d’Olivier Assayas, coproduit par CAB Productions, est un exemple typique : les décors extérieurs très présents à l’image sont aux Grisons, mais les intérieurs ont été tournés dans le Sud-Tyrol et non en Suisse. L’Autriche l’a emporté justement grâce aux incitations financières.

 

Un projet à la longue genèse
Tristan Albrecht, producteur et réalisateur valaisan, confirme : « Les commissions doivent avoir deux têtes : un service logistique et de décor, et pour que ça marche, une incitation financière, des remboursements sur les investissements. » Film Location Valais, comme Cine Tirol, s’est donc doté d’un fonds de soutien issu d’un budget commun aux domaines de l’économie, du tourisme et de la culture. L’aide sera automatique, liée à une évaluation des dépenses et des retombées en termes d’image. Anne-Catherine Sutermeister, cheffe du Service de la culture du Canton, explique que le montant du fonds est tenu secret, pour ne pas donner de faux espoirs et parce qu’il est commun à d’autres projets. Charge au ou à la futur·e film commissionner de faire son budget et de préciser ses besoins : « Les conditions ont tellement changé avec la pandémie! Il ou elle va prendre le temps de réévaluer l’outil après son engagement. Il s’agit de faire de la prospection pour voir si par exemple, les Indien·ne·s viennent toujours tourner dans les Alpes ou s’il faut plutôt promouvoir notre outil en Europe. »
Il aura fallu dix ans pour que ce projet voie le jour. Il est né sous l’impulsion de l’association des professionnel·le·s valaisan·ne·s, Valais Film, et de Tristan Albrecht (qui vient d'être élu à la présidence de la structure). « Depuis 2010, raconte-t-il, j’ai souvent été sollicité par des sociétés étrangères et suisses qui cherchaient des lieux, des technicien·ne·s, du matériel, une production exécutive. Je recevais tellement de demandes que j’ai pensé qu’il serait intéressant de créer un service qui permette de les centraliser. Ces demandes passaient principalement par Valais/Wallis Promotion, les offices de tourisme et les boîtes de production comme la mienne, Dedal Film, ou celle de Pierre-André Thiébaud, PCT. Souvent, elles se perdaient ensuite dans la nature. »

 

«La ligne» pour convaincre
Tristan Albrecht propose son idée au Canton, qui la trouve « sympathique »... Ce n’est que quand la faîtière reprend le flambeau que le projet se structure. Un groupe de travail passe deux ans à réfléchir au cahier des charges, au budget, aux décors possibles, à comparer avec des commissions d’autres pays, de l’Autriche à la Nouvelle-Zélande. S’ensuit une longue recherche de fonds, d’allers-retours politiques, de tentatives pour que la Confédération s’engage. « Et puis, paradoxalement, la pandémie a beaucoup aidé », commente Tristan Albrecht. Le tourisme est en difficulté – la baisse de l’enneigement est également un enjeu –, il doit se réinventer, pourquoi pas grâce au cinéma.
Anne-Catherine Sutermeister se souvient d’un moment de bascule pour le monde politique : « Nous avons organisé une rencontre quand Ursula Meier tournait « La ligne » au Bouveret. Les conseiller·ère·s d’État en charge de l’économie et de la culture étaient présent·e·s. D’être sur place, de parler avec les gens qui connaissent les chiffres et les besoins de l’industrie et de voir le nombre de personnes impliquées dans un tournage : les hôtels, les prestataires de services alentour… De l’expérimenter concrètement, ça a beaucoup aidé. »
Alors que la commission a été nommée, c’est maintenant avec un James Bond que le Valais communique, « Goldfinger » et sa course poursuite sur le col de la Furka. Pas tant pour son aide directe – le film date de 1964 – mais pour illustrer les attraits de la région. 

 

De l’importance du régionalisme
Si le Valais est parmi les premiers, avec le Tessin (lire l’encadré), à se doter d’une commission avec une capacité financière, et pas la Suisse dans son ensemble, ce n’est pas un hasard. « Ce type de projets doit commencer de manière locale, confirme Tristan Albrecht. Ils sont liés à la géographie d’un territoire, à la capacité de réseautage, à la connaissance de chaque vallée. Si je devais être film commissionner pour toute la Romandie, j’aurais de la peine à aider un tournage à Genève, ça demande un rapport de proximité. »
Les commissions sont organisées par étage : une faîtière internationale, des regroupements européens, des associations nationales, et des offices régionaux. Il serait donc parfaitement envisageable qu’une structure nationale se charge de prospecter à l’étranger pour le compte des différentes commissions cantonales. C’est ce que font déjà les offices du tourisme. L’occasion de faire renaître Film Location Switzerland de ses cendres, dix ans après sa mise en sommeil faute de financement.

 

▶  Texte original: français

Plusieurs projets pilotes au Tessin

La Ticino Film Commission, qui dispose d’un budget d’un demi-million de francs par année, soutient les productions cinématographiques qui viennent tourner au Tessin, non pas sur une base qualitative, mais en fonction de la visibilité du Tessin dans le film, du nombre de jours de tournage dans le Canton, du nombre de technicien·ne·s locaux·ales impliqué·e·s. Ces contributions représentent environ 250’000 CHF par année. Les fonds ne proviennent pas de la culture, mais du département de l’économie. Durant la pandémie une partie de ce fonds a servi à des mesures d’aide aux professionnel·le·s.

Niccolò Castelli a pris la direction de la commission il y a quelques mois et a déjà mis sur pied plusieurs projets, au stade pilote : « Je travaille avec plusieurs communes où nous tournons souvent pour mettre en place un cash rebate. J’espère avoir une confirmation au début de l’année prochaine. L’idée est de prévoir un budget annuel et jusqu’à son épuisement, de proposer un remboursement d'environ 20% des frais dépensés sur le territoire de la commune. »

L’autre front sur lequel Niccolò Castelli s’active est celui de l’encouragement de l’italophonie. Il teste des mesures dès le stade du développement : « On a donné de l’argent à un projet pour traduire le scénario en italien et on a payé une scénariste tessinoise pour conseiller des adaptations et des feed-back sur la partie du film qui se passe au Tessin, afin d’éviter les clichés et de veiller à la vraisemblance. Il y avait par exemple une scène dans un grotto, mais situé au centre-ville, et on a pu montrer que ce n’est pas vraiment réaliste. La consultante a aussi fait un travail de recherche de lieux, d’atmosphères et de casting pour le dossier de production. »

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