Pascaline Sordet
11 février 2021
Les scolaires, ici en 2018, se déclinent du primaire jusqu'aux hautes écoles. © FlorianBachmann / FIFF
Pour la deuxième année consécutive, le Festival International de Films de Fribourg n’aura pas lieu en mars. Parmi les premiers festivals à renoncer en 2020 face aux mesures de lutte contre le Covid-19, la manifestation fribourgeoise a annoncé à la fin du mois de janvier 2021 que son édition était reportée à l’été. Tout n’est pourtant pas repoussé aux beaux jours. Un volet devrait bien se tenir en mars comme prévu : celui dédié aux enfants et adolescent·e·s, puisque « les écoles sont les seuls lieux suisses qui ont actuellement l’autorisation de proposer des activités culturelles », souligne Thierry Jobin, le directeur artistique. Les projections seront organisées en collaboration avec chaque école pour garantir des conditions sanitaires sûres.
« Les scolaires », comme on appelle les projections dédiées aux écoles, existent quasiment depuis la création du festival. En 2020, la décision d’annuler a été prise face à l’impossibilité de proposer des séances scolaires et juste avant la fermeture des écoles : « C’était presque intuitif. Au sein de la Conférence des festivals, chacun·e avait un projet de réinvention et nous étions les seul·e·s à ne pas vouloir aller online », explique Philippe Clivaz, le directeur administratif. C’est que les projections scolaires sont loin d’être anecdotiques à Fribourg, puisqu’elles représentent un quart des entrées totales. « Au milieu de l’été, nous avions déjà 5000 inscriptions », détaille Thierry Jobin. Neuf mille à Noël, en pleine pandémie. « Les professeur·e·s mettent ces projections dans leurs programmes avant même de connaître les films », ajoute Philippe Clivaz. Il n’y a qu’un pas pour dire que ce ne sont pas les films qui intéressent les écoles ? « C’est une marque de confiance, corrige Thierry Jobin. Il ne s’agit pas juste d’une projection ou d’un film précis, ce qui intéresse les écoles, c’est aussi l’accompagnement des enseignant·e·s par notre équipe de médiation culturelle et le matériel pédagogique mis à disposition. »
Les différentes formes de médiation mises en place à Fribourg sont courantes dans les festivals et dans d'autres institutions comme Cinéculture ou e-media. Comment expliquer le succès du programme scolaire de Fribourg ? Dans une ville de taille moyenne, où le FIFF est le seul festival de films, « nous sommes un événement important pour la vie culturelle », analyse Philippe Clivaz. Enfin « deux générations d’adultes fribourgeois·es ont grandi avec les scolaires, fait remarquer Thierry Jobin. Le public a une forme d’éducation cinématographique. Pas juste aux thèmes mais à la forme. » La longévité de ce programme est une de ses clés, et ce dont Delphine Niederberger, la responsable de la médiation culturelle, est la plus fière.
Des jeunes sous-estimé·e·s
Une quinzaine de personnes travaillent sous la direction de Delphine Niederberger pour accueillir les élèves, présenter les films et animer un échange, dans la salle de cinéma ou en classe. « Je me souviens d’un film qui traite de trois jeunes qui traversent tout le Mexique pour rejoindre les États-Unis, et à un moment donné, le trio est amputé de la fille sans qu’on sache ce qui lui arrive. Nous n’avions pas prévu d’en parler, mais ça avait marqué les élèves, il·elle·s voulaient absolument savoir ce qui lui était arrivé. Il·elle·s sont très attaché·e·s à l’histoire et il faut repositionner la fiction. » Autrement dit, l’approche des films n’est pas uniquement thématique. Les films ne servent pas d’illustration, ils sont également abordés en tant qu’objets artistiques. Autre exemple: « Il y a deux ans, nous avions montré un film kenyan, « Supa Modo », sur une petite fille malade qui va mourir et à qui sa grande soeur fait croire qu’elle a des superpouvoirs. La mise en scène de ces pouvoirs dans un film à petit budget, pour un public habitué aux productions Marvel, a permis de mettre en relation ces types de films, et d’aborder l’aspect financier du cinéma, ce qui ne m’était jamais arrivé dans une classe. »
Le programme scolaire se décline pour deux groupes, les écoles primaires d’un côté, le secondaire et les hautes écoles de l’autre. Pour le primaire, des films sont sélectionnés spécifiquement, pour les adolescent·e·s, ce sont des films du programme public qui sont repris. Tous les films bénéficient d’un accompagnement pédagogique. A quel point ces interventions réussissent-elles à décoller des aspects thématiques des films pour aborder ce qu’est le cinéma, sa grammaire, son pouvoir, ses limites ? Que comprennent les enfants du dispositif filmique ? « On a tendance à les sous-estimer, assure Delphine Niederberger. C’est une génération qui est entourée d’images et, de par leur pratique quotidienne, il·elle·s ont une assez bonne conscience de la façon dont une image est mise en scène, qu’un film n’est pas le réel. »
Jusqu’à la participation
La médiation ne se limite pas à des présentations et des discussions, elle se développe jusqu’à la participation. Cette année, un travail est en cours avec trois classes germanophones du canton, qui, dans leur cours de musique, s’attellent à refaire la bande-son d’un court métrage, en écho à la thématique de l’édition sur la musique. « C’est une application pratique, illustre Delphine Niederberger, il·elle·s ne sont pas spectateur·trice·s, mais se confrontent au médium filmique, à ses différentes facettes, l’aspect sonore n’étant pas la première chose à laquelle il·elle·s font attention. » La participation peut également se faire grâce à des outils éprouvés, et pas uniquement à Fribourg : les jurys des jeunes permettent de donner la parole à cette tranche d’âge et de faire entendre leurs opinions.
La médiation s’adresse également aux adultes. Cette année, le public a été invité à participer en votant pour choisir cinq films parmi 50 comédies musicales. Trois cent vingt-six personnes ont voté et « Pink Floyd : The Wall » est sorti grand gagnant. « Fribourg est une petite ville, raconte Thierry Jobin à propos de la genèse de ce projet. Quand on vit ici, on est sollicité par la population. Moi, j’adore les cartes blanches et je me suis dit : et si le public programmait ? Nous avons trouvé une solution toute simple, grâce à la section cinéma de genre qui permet au public de choisir parmi des classiques, ce qui est plus simple à organiser que parmi des nouveautés. » Les présentations de ces films seront assurées en tandem par un·e francophone et un·e germanophone ayant voté. Ces dix personnes bénéficieront d’un badge staff pendant la durée du festival. Là encore, une manière de faire entrer le public dans la machinerie interne, dans les coulisses, au coeur du festival.
L’intérêt de cette patiente construction du public est aussi économique. La fidélisation et le renouvellement sont des aspects essentiels pour toutes les manifestations culturelles – « On tente de s’assurer un avenir», admet volontiers Philippe Clivaz. La médiatrice Delphine Niederberger nuance : « La réussite d’un projet de médiation ne s’évalue pas en nombre de personnes touchées, mais en qualité. »
▶ Texte original: français
En novembre, le festival de documentaires de Nyon a lancé une plateforme de streaming qui s’adresse spécifiquement aux écoles : Visions du Réel at School. On y trouve une sélection de documentaires présentés à Nyon lors des éditions passées et du matériel pédagogique. Ce programme permet de prolonger pendant l’année et de valoriser le travail des scolaires qui ont lieu pendant le festival.
L’offre pilote d’une trentaine de titres est destinée dans un premier temps aux écoles romandes et sera étoffée tous les mois de nouveaux films. Des films suisses comme « Madame » de Stéphane Riethauser font partie du catalogue. Le festival prévoit d’élargir ensuite l’offre aux écoles de toute la Suisse, avec des films en allemand et en italien ou sous-titrés dans ces deux langues, dès la rentrée scolaire 2021.
Les films sont classés par niveaux scolaires pour faciliter le travail des enseignant·e·s, mais aussi par branche, dont « Arts visuels » et « Éducation aux médias », qui permettent d’appréhender les documentaires sous l’angle formel.
Jean-Marc Fröhle et Rajko Jazbec (IG Produzenten), Barbara Miller et Roland Hurschler (ARF/FDS), Elena Pedrazzoli et Jacob Berger (GARP), Heinz Dill et Ivan Madeo (SFP)
11 février 2021