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Editorial

Archives politiques

Les archives de films ne se contentent pas de stocker, collecter et organiser des films du passé, elles produisent activement de l’histoire du cinéma. Depuis qu’elles existent, elles choisissent avec soin quels films seront inclus dans les collections et par conséquent, quels films en seront exclus. Elles sont le lieu de choix politiques à propos des cinématographies nationales, pas de grandes chambres froides de la production. Alors que la dématérialisation des supports laisse rêveur – peut-être pourrions-nous numériser TOUT le cinéma mondial et y avoir accès partout et en tout temps – la réalité du choix perdure. Elle se renforce même, pour la simple et bonne raison que numériser coûte cher.

L’accès aux classiques dans un monde digital est crucial, mais auxquels ? Une infime partie des films est disponible en copies numériques, même si les cinémathèques et les ayants droit se battent pour augmenter ce nombre. La digitalisation des cinémathèques est donc le lieu de création d’un nouveau canon; on y décide, parfois un peu malgré soi, quels films importent maintenant, et quels films peuvent attendre. Une forme de hiérarchie en soi. Quels sont les critères ? Pas toujours les plus évidents, comme la reconnaissance critique ou la renommée des cinéastes. Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse, précisait lors du 75ème Congrès de la FIAF à Lausanne en avril, que la mission de l’institut d’archives est de numériser les films « en danger ». Il a fallu faire des choix, et les films en danger ne sont pas toujours ceux que le·a créateur·trice préfère ou qui ont le plus de potentiel sur le marché du film de patrimoine. Le mandat est, là aussi, politique.

A côté de ces films du passé qui entrent de plain-pied dans le XXIe siècle, une immense majorité d’autres continue d’exister en pellicule, et les cinémas qui programment ces classiques continuent d’avoir besoin de bobines. Nicole Reinhard, la directrice du festival Bildrausch et du Stadtkino de Bâle, dont nous faisons le portrait, souligne la difficulté grandissante d’obtenir ces pellicules, parce qu’elles sont rares, parce qu’elles n’existent souvent qu’en un seul exemplaire, parce que la chaîne des droits n’est pas toujours claire et ne permet donc pas une projection. Là encore, une sélection se dessine, qui n’a rien à voir avec la qualité des œuvres, les choix de programmation ou les envies du public.

Comme souvent dans les débats entre des acteur·trice·s qui tirent tous à la même corde, celle de la cinéphilie, l’argent résoudrait les problèmes. Le porte-monnaie étatique n’étant pas extensible à l’infini, et comme personne ne souhaite déshabiller Pierre pour habiller Paul, les frictions demeurent. Cela n’enlève rien au plus réjouissant: au-delà des questions financières et techniques, on constate que l’intérêt du public pour les films de patrimoine existe. Il s’agit certes d’un marché de niche, mais d’un marché quand même.

 

Pascaline Sordet

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