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Coproductions: couples mixtes

Pascaline Sordet
27 septembre 2018

Réalisateur·trice·s et producteur·trice·s doivent pouvoir choisir de collaborer librement, sans que des impératifs financiers ou la langue ne viennent influencer leur union, ni pour la favoriser ni pour la compliquer.

Pour un·e réalisateur·trice, décider de produire un film avec un producteur·trice d’une autre région linguistique que la sienne peut permettre d’enrichir le projet ou faire sens en termes de scénario, mais cela complique légèrement le financement. Les deux fonds régionaux les mieux dotés de Suisse, Cinéforom et la Zürcher Filmstiftung, ont mis en place des règles qui limitent l’accès des producteur·trice·s qui ne sont pas basés dans leur région. « À la création de Cinéforom, raconte Gérard Ruey, les fonds étaient réservés aux Romand·e·s, indépendamment du profil du·de la réalisateur·trice. » Il s’est vite avéré que les réalisateur·trice·s voulaient pouvoir choisir librement leur partenaire sans être coupé de leur fonds régional de financement, ce que la fondation a entendu. « Nous avons alors mis en place un mécanisme qui fait qu’un Alémanique travaillant avec un·e réalisateur·trice romand·e a droit à 50% du montant maximal », que ce soit en sélectif ou en automatique.

Cette règle a trouvé une forme de parallèle à la Zürcher Filmstiftung, lors du dernier changement de statut avec l’ajout d’un « principe de réciprocité ». Il précise que la part de financement de la Filmstiftung ne peut pas dépasser le montant qui serait accordé par un autre fonds dans la constellation inverse. Sur cette base, le bureau de la fondation a décidé que lorsqu’un·e producteur·trice non zurichois·e sollicite la Zürcher Filmstiftung avec un·e auteur·trice zurichois·e, s’il ou elle a demandé de l’argent dans un autre fonds régional, alors la décision de la commission sélective zurichoise dépend de celle de ce fonds. Cinéforom appliquant la règle des 50%, seul l’équivalent de la moitié de la somme reçue à Genève sera accordé par Zurich.


Comparer des pommes et des poires

Dans les deux cas, il s’agit de faire en sorte que l’argent public reste à disposition des projets régionaux. Il faut toutefois garder à l’esprit que les couples mixtes sont rares et que ces décisions ne concernent que quelques cas par année. Parmi ceux-ci, un projet de Beauvoir Films à Genève, une structure portée par Aline Schmid et Adrian Blaser, deux Alémaniques installés de longue date en Suisse romande. Ils ont été les premiers à être confrontés concrètement à ce hoquet réglementaire. Pour Adrian Blaser, « le principe de réciprocité est légitime, mais les systèmes dans les deux régions ne sont pas identiques. En outre, la Zürcher Filmstiftung suggère que les producteur·trice·s romand·e·s avec réalisateur·trice zurichois·e devraient faire leur demande à Zurich après avoir obtenu les résultats définitifs auprès de Cinéforom. C’est dommage parce qu’on se trouve face à des barrières bureaucratiques inutiles alors que la mixité ne nuit à personne. »

La comparaison entre les deux offices est compliquée : Zurich fonctionne exclusivement avec des soutiens sélectifs, alors que Cinéforom possède, en plus de l’aide sélective, un outil automatique, précieux mais adossé sur les décisions d’autres instances comme l’OFC ou la SSR et donc susceptible de variations. De plus, actuellement, le fonds zurichois est doté de 2,5 millions de plus que Cinéforom (pour un unique canton). A noter encore que d’autres fonds régionaux, comme ceux de Berne ou Bâle, ne connaissent pas ce genre de restrictions.

Mis au courant de la situation, Gérard Ruey a rapidement assuré la volonté du secrétariat de Cinéforom de revoir ces dispositions : « Un système qui lie nos décisions, c’est aberrant en termes de calendrier et ça complexifie inutilement le financement des films. » Il ajoute encore, pour le contexte, que « le système actuel protège les Romand·e·s d’une soi-disant invasion alémanique, à laquelle nous ne croyons absolument pas » et qui est largement restée un fantasme quand on regarde le nombre de films qui mettent réellement en place ce genre de duos mixtes. Adrian Blaser rappelle que « les producteur·trice·s et les réalisateur·trice·s se choisissent parce qu’il y a des connivences et des envies, pas un business plan ». La productrice de Close Up Films Joëlle Bertossa abonde dans ce sens: « Il faut se débarrasser de cette peur illégitime que si la règle des 50% disparaît, tous les couples seront mixtes. »


Des discussions sur la bonne voie

Les discussions entre les deux régions ont été amorcées à Locarno, en présence des représentants de la branche. La Zürcher Filmstiftung a déjà fait un pas dans la direction des Romand·e·s en modifiant la règle de réinvestissement de 150% des soutiens reçus. L’obligation n’est désormais plus valable pour chaque projet, mais sur l’ensemble de l’argent du fonds, ce qui donne une certaine flexibilité au financeur et aux producteur·trice·s. Du côté de la Suisse romande, l’humeur est également à la conciliation : « Je pense que Cinéforom devrait assouplir son règlement », précise le secrétaire général, c’est-à-dire abandonner la règle des 50%. Cette idée a fait son chemin à l’AROPA, dont la majorité du comité s’est prononcée début septembre pour l’abandon de cette règle (revenant sur sa décision de janvier dernier). L’association donne donc son feu vert pour continuer les négociations avec la Zürcher Filmstiftung, qui n’a pas souhaité prendre position sur la suite. Gérard Ruey est confiant : « La profession a envie de faire bouger les lignes. »

Pour Joëlle Bertossa, coprésidente de l’AROPA, le système se régule de toute façon de lui-même. Les obligations de réinvestissement, qui existent à Cinéforom pour les coproductions minoritaires et les producteur·trice·s non romand·e·s, font que l’argent est de toute manière utilisé dans la région dont il provient. Concrètement, il est quasi impossible pour un·e Romand·e de demander le maximum d’argent à Zurich et de le dépenser sur place si son tournage a lieu en Romandie, que ses comédien·ne·s sont francophones et que ses frais généraux sont imputés en Romandie. C’est d’autant plus vrai si un·e coproducteur·trice étranger vient encore s’ajouter à la constellation. Le cas de Bettina Oberli tournant un film francophone dans le Jura avec Rita Production est, en ce sens, exemplaire. « L’idée est de faire les meilleurs films possibles, ajoute Joëlle Bertossa, et si certain·e·s ont accès à plus d’argent, pour des projets plus ambitieux, capables de convaincre des commissions à Berne, à Zurich et en Suisse romande et de toucher du public dans plusieurs régions linguistiques, alors c’est génial ! » Face aux autorités politiques, ce qui compte est que l’argent soit réinvesti dans la région et que les films aient du succès.

Tous les protagonistes de l’histoire se rejoignent sur l’interdiction ferme de mettre en place des coproductions internes à la Suisse, avec une boîte qui dépose à Zurich et une autre à Genève. « Ce serait un non-sens qui coûterait plus d’argent inutilement en doublant les salaires de production et les frais généraux », explique Gérard Ruey. Ce qui n’exclut pas une collaboration entre différent·e·s producteur·trice·s sur les aspects exécutifs, pour des questions de réseau ou de langue.


▶ Texte original: français

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