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Lumière, ombre et nid d’oiseaux

Kathrin Halter
03 janvier 2018

Le réalisateur zurichois Christoph Schaub, invité d’honneur des Rencontres de Soleure, est l’auteur de fictions, mais aussi d’une série de films d’architecture.

La toile du cinéma, pour une fois, n’était pas adaptée : la dernière œuvre de Christoph Schaub a été présentée dans un musée. Ce collage filmique sur quatre moniteurs est un hommage à Peter Zumthor à l’occasion de son exposition à la Kunsthaus de Bregenz. Il y a vingt ans déjà, Christoph Schaub avait, dans « Lieu, funcziun e furma », tracé les portraits de l’architecte bâlois, connu pour les bains thermaux de Vals, et de son collègue grison, Gion A. Caminada. « Architektur der Unendlichkeit », son prochain film-essai, qui sera terminé l’an prochain, se penche lui aussi sur la création et l’impact des réalisations architecturales, à travers une église au Portugal (par Alvaro Siza) ou un musée au Tessin (par Peter Märkli). Profane et sacré y vont de pair, aboutissant à un sentiment d’infini. Le réalisateur zurichois a, jusqu’ici, tourné onze de ces films d’architecture, chacun durant entre 12 minutes et 2 heures.

D’où vient la fascination de Christoph Schaub pour l’architecture ? « J’ai quand même fait d’autres films ! » botte-t-il en touche en rigolant, alors qu’on visite son atelier. L’intérêt médiatique de ces dernières semaines s’est concentré sur les films d’architecture, le réalisateur de fictions s’en est sans doute irrité, et ce, malgré la fierté ressentie suite à la distinction soleuroise et aux marques de respect tant de Hochparterre que de la NZZ. Pour de nombreux spectateurs il reste le réalisateur de « Giulias Verschwinden », « Sternenberg » ou encore « Jeune homme », et c’est justement la raison pour laquelle il faut revoir ses films d’architecture. On y découvre plus précisément le lien qui unit ces travaux, la façon toujours renouvelée qu’a Christoph Schaub de se confronter aux défis cinématographiques qui se présentent à lui. 

Une amitié décisive

Pour autant, il n’était pas familier du sujet. Christoph Schaub dit n’avoir jamais songé, par exemple, à étudier l’architecture. Il avait même, comme beaucoup dans les années 80, une forte aversion pour le béton, symbole d’aliénation, d'anonymat et de la froideur sociale du capitalisme. Il a un peu honte de ce rejet « lourdingue » : « Je n’avais pas observé assez finement », dit-il aujourd’hui. Le cinéaste collaborait alors au Videoladen et a tourné des vidéos d’intervention politique autour du mouvement de la jeunesse à Zurich. « I Lovesong », par exemple, faisait la chronique d’un squat de Stauffacher à Zurich, ludique comme ses occupant·e·s masqué·e·s et polémique face à la spéculation immobilière.

Ce n’est que dix ans plus tard qu’il se découvre un intérêt pour l’architecture, au travers de son amitié avec l’architecte Marcel Meili, son ancien colocataire, qui lui propose de tourner un film autour d’une maison particulière. Il Girasole, le tournesol, est une construction circulaire dans les environs de Verone, mue par une mécanique complexe qui lui fait faire une révolution complète toutes les huit heures. Difficile pour le réalisateur de se faire une idée de ce à quoi pourrait ressembler le projet. Mais les deux amis se plongent dans la matière, l’occasion pour le réalisateur d’en apprendre plus sur l’histoire de l’art et de l’architecture. Il est mordu.

« Il Girasole – una casa vicino a Verona », sorti en 1995, capture les jeux de lumière et les différents points de vue offerts par les fenêtres. Le film esquisse, à travers plusieurs saisons, une journée fictive de la famille de son constructeur depuis longtemps disparu, Angelo Invernizzi, et de sa famille. À la photographie, on retrouve Matthias Källin, un caméraman « esthète et congénitalement génial », qui a beaucoup inspiré le cinéaste et avec lequel il a travaillé jusqu’à sa mort, il y a dix ans.

Après ce film, les demandes de portraits d’architecture ne cessent d’arriver, tout d’abord pour la télévision romanche - pour laquelle il a réalisé le film sur Caminada et Zumthor – ainsi que, deux ans plus tard, un film de commande sur « Il project Vrin » (1999).

C’est le producteur Marcel Hoehn qui lui propose un film sur l’architecte Santiago Calatrava, qu’il avait rencontré à Zurich et dont la renommée mondiale n’était plus à faire. Ce sera le premier long-métrage d’architecture de Christoph Schaub, intitulé « Die Reisen des Santiago Calatrava », en 2000. Il y dresse le portrait de l’architecte espagnol dans son style de vie, au travers de ses voyages incessants d’un gros chantier à l’autre, de ses innombrables discussions avec des maîtres d’œuvre et des employé·e·s de bureau à Paris ou à Zurich, sans omettre son minutieux travail de dessin. Naturellement, les constructions de Calatrava apparaissent à l’écran, principalement sous forme d’images fixes qui, au montage, donnent une impression d’ensemble de son œuvre.

Et comment filme-t-on l’architecture ?

Christoph Schaub n’est pas un adepte des espaces vides de toute présence humaine, aussi bien dans les films qu’en photographie. Il n’est pas rare de croiser les habitants : des pêcheurs près du fleuve, sous un pont conçu par Calatrava, footballeurs et cyclistes, passagers peuplant un hall de gare. Une animation qui donne au construit son sens social et rend perceptibles les distances.

Comment traduit-on une expérience tridimensionnelle dans un film en deux dimensions ? Ce sont ces questions, encore et toujours, qui s’emparent de Christoph Schaub. Afin « d’ouvrir » des espaces, de développer un sentiment pour ceux-ci, les bruits et la musique jouent, aux côtés de la lumière, un rôle essentiel. Le film sur Calatrava en apporte la preuve. Il y utilise des œuvres de John Cage dans le but de « tendre » l’espace, afin de « permettre aux sons d’y chercher leur place ».

L’orientation au sein de l’espace filmique est tout aussi exigeante, car contrairement à la réalité, où nous utilisons notre mémoire spatiale, un film nous oblige à la recréer au travers des angles fournis par la caméra (d’où le problème des sauts dans l’axe). Une représentation réaliste de l’architecture est donc impossible selon le cinéaste : « Lorsque l’on reconstitue les espaces au moyen d’un film, cela relève toujours de l’interprétation. Plus la complexité dans la succession des espaces augmente, plus l’exercice se révèle ardu. »

Le peu de recours aux mouvements de caméra est caractéristique des films architecturaux de Christoph Schaub. Bien plus souvent, il monte des images fixes, qui se chargent de dévoiler l’image d’ensemble. Pourquoi ce choix ? Pour lui, les prises en mouvement transmettent un sentiment de subjectivité et sont donc psychologiquement chargées. Ce qui donne la sensation que quelqu’un nous fait visiter les bâtiments ; c’est faire diversion. « Ce que je veux c’est raconter une histoire autour de l’architecture, pas autour de gens qui se trouveraient là par hasard. » 

« Brasilia – eine Utopie der Moderne », qui traite de la ville moderniste conçue par Oscar Niemeyer, fait exception. Brasilia a été conçue comme une ville du tout-voiture. Les scènes en caméra embarquée à bord d’une voiture véhiculent d’une part l’impression de gigantisme du bâti et de l’espace urbain, d’autre part ce sentiment de l’esprit de pionniers propre aux années 50 - sans oublier la légèreté et l’élégance qui flottaient autour d’Oscar Niemeyer. Christoph Schaub s’entretient également avec un ancien ouvrier, ouvrant ainsi la perspective de l’histoire sociale de la ville – aussi bien que possible en trente minutes, au vu de la complexité de la question.

« Bird’s Nest » est à ce jour son film d’architecture le plus ambitieux et va, dans cette optique sociétale, bien plus loin. Ici, le cinéaste a pu piocher tous azimuts : un portrait des architectes stars Herzog & De Meuron au travail, une étude sur la communication interculturelle et les malentendus entre concepteurs occidentaux et administration chinoise. C’est l’histoire d’un mégaprojet hautement complexe, le stade olympique, qui est racontée avec une vraie maestria dramaturgique. La seule chose qui manque peut-être sont les voix d’habitant·e·s ou d’ouvrier·ère·s. Ça n’est pas manque d’intérêt : le film a bien souvent été pour Christoph Schaub une expérience dans l’art et la manière de se frotter aux autorisations de tournage et à la censure. Son dernier projet architectural en date, sur les bâtiments sacrés, paraît simple en comparaison.

 

▶  Texte original : allemand

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