MENU FERMER

Article

Scénario, la relève bosse dur


20 septembre 2016

En développant ses modèles de soutien à l'écriture, la SSA voit juste. Elle a créé cette année un fonds spécifique pour les premières œuvres, qui a reçu deux fois plus de dossiers que l'appel aux auteurs confirmés.

Par Albertine Bourget

Cette année, pour la première fois, la Société suisse des auteurs (SSA) a attribué trois bourses pour le soutien à l’écriture de scénarios de premiers longs-métrages de fiction. Le jury a choisi d’accorder la somme de 20’000 francs chacun aux projets « Peau de vache », de Tamer Ruggli et Marianne Brun, « Ad Aeternam » de Marie-Elsa Sgualdo (voir page de droite) et «Azor» d’Andreas Fontana. Annoncés à Locarno, les lauréats s’ajoutent aux autres bourses attribuées, comme chaque année, dans les catégories scénarios de longs-métrages de fiction et développement de films documentaires.

L’idée, selon les termes du concours, est de soutenir l’écriture d'un premier long-métrage par un réalisateur émergent, c’est-à-dire qui n’a pas encore de long-métrage à son actif. Elle est partie du constat qu’il y avait une inégalité, ou tout du moins un déséquilibre, au moment de trancher entre les dossiers des scénaristes/réalisateurs expérimentés et les autres. « Passer l’étape du premier long-métrage est difficile, souligne Denis Rabaglia, président de la SSA. Selon la sensibilité des jurés, les participants plus ou moins connus vont être avantagés. Ressort souvent la volonté de donner un coup de pouce aux plus jeunes. Cette année, nous avons eu assez de moyens pour séparer les débutants des autres, ce qui nous a semblé adéquat. » 

Soixante-neuf dossiers, trois lauréats

L’appel a été largement entendu : les trois projets ont été distingués parmi 69 dossiers, deux fois plus que dans les autres concours. Pourquoi autant de candidats ? Probablement en raison du nombre grandissant de gens formés au cinéma. Un avis partagé par Stéphane Goël, dont le projet de documentaire « Robinson Crusoé II » a obtenu une bourse (voir page de droite): « Il y a beaucoup de jeunes qui arrivent sur le marché, et les parts du gâteau se réduisent. C’est notre drame que de dépendre de subventions », résume-t-il dans un sourire.

L’aide au scénario a « toujours été notre fer de lance. La SSA a choisi de miser sur l’écriture depuis la fin des années 90, rappelle Denis Rabaglia, alors que Suissimage, à titre d’exemple, consacre ses moyens à une variété d’autres enjeux, comme par exemple, actuellement, à la digitalisation de vieux films. » Le cinéaste romand, qui préside la SSA depuis 2012, insiste : « Nous n’aidons pas la production mais bien l’écriture et donc, par définition, le scénariste. Même si le réalisateur n’est jamais très loin puisqu’en Suisse, dans 90% des cas, il s’agit de la même personne. » 

Cette année, sur le 1,3 million du fonds, environ un tiers a été investi dans l’aide au scénario à travers quatre actions. Les interlocuteurs que nous avons contactés saluent la dernière initiative de la SSA, à l’instar de Jacqueline Surchat. La responsable de la section scénario de Focal trouve « magnifique que la relève soit soutenue ». 

Un contexte à renforcer

Pour Ursula Häberlin, secrétaire générale de l’Association suisse des scénaristes et réalisateurs de films (ARF/FDS), la contribution de la SSA dans l’aide au scénario est «significative». Elle précise: «Pour nous, il n’y a jamais assez de soutien au développement (traitement et scénario), d’autant plus que la toute première phase d’un film se tient souvent dans des conditions fragiles. Dans un pays aussi petit que la Suisse, divisé qui plus est en régions linguistiques, il est difficile pour les scénaristes de faire leur place et de vivre de leur travail. Un renforcement de leur position par le biais de la SSA est donc d’autant plus bienvenu.»

La suppression de l’aide sélective au traitement par l’OFC, entrée en vigueur au 1er juillet dernier, a laissé une béance dans le soutien au développement, et ce «alors que les scénaristes n’étaient déjà pas couchés sur un lit de roses», comme le résume Ursula Häberlin. «L’encouragement doit donc être poursuivi, dans la droite ligne des montants importants accordés par la SSA en 2016.» De son côté, Stéphane Goël souligne à quel point « les phases d’écriture sont de plus en plus importantes. En fiction surtout, c’est essentiel d’arriver avec un scénario de qualité si on veut convaincre. Il faut des pitch, des bandes-annonces qui en jettent. » 

Basée à Lausanne, la SSA compte près de 3'000 membres et gère les droits d'émission (diffusion d'œuvres à la radio et télévision), de représentation scénique et de reproduction. Afin de se financer et d'alimenter ses fonds, la société prélève 10% des redevances d'utilisation encaissées sur les droits. Si les projets autour de la danse, du théâtre, de la musique de scène, de l'humour ou encore des arts de la rue sont soutenus, une grande partie du fonds culturel est consacrée à l'aide à l'écriture au scénario.

 

Marie-Elsa Sgualdo (en photo), Lausanne, lauréate d'une bourse pour « Ad Aeternam » (Maximage) 

« L’aide de la SSA ou d'autres institutions est d'autant plus importante que certaines aides de l'OFC ont été supprimées et que les guichets comme le Pour-cent Culturel Migros ou Cinéforom ne sont pas si nombreux. Ce soutien de la SSA est vraiment un soutien à l'auteur, et offre une liberté difficile à acquérir autrement. L'écriture d'un premier scénario est une phase difficile, j'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Cette bourse me permet de dégager du temps, de faire des recherches de terrain, d'étayer les personnages. J'aurais poursuivi mon projet de toute façon, mais c'est un véritable coup de pouce qui me conforte dans l'idée que mon projet tient la route et qui me donne plus de temps pour me consacrer à l'écriture. »

 

Stéphane Goël, Lausanne, lauréat d'une bourse pour « Robinson Crusoé II » (Climage) 

« L’écriture d'un documentaire, ce n'est pas juste s'asseoir à son bureau pour écrire le scénario. Nous allons raconter l'histoire de l'île chilienne dont le Bernois Alfred von Rodt est devenu le roi au XIXe siècle, et dont les habitants rêvent de faire un pays indépendant. Cette bourse nous permet notamment d'aller en repérage à l'autre bout du monde, puisque nous recevons 10'000 francs maintenant et le solde quand l'écriture sera terminée. Elle nous a permis aussi de trouver un partenaire au Chili. Je pense que si une commission ou un jury se positionne en faveur d'un projet, cela a un effet boule de neige. Ce projet a été refusé par l'OFC mais a reçu une bourse de Cinéforom. Sans cela, c'est toute la phase de production qui aurait été mise en danger. 35'000 francs sur un total de 600'000, c'est un pourcentage petit, mais essentiel dans cette phase de développement et qui nous aidera à arriver prêts à la phase de production. »

Vous vous interesser au cinéma suisse ?

Abonnez-vous!

Voir offre