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Sauvez l'automne!

Florian Keller
06 janvier 2020

Le journaliste et critique de cinéma Florian Keller s'étonne: pourquoi les distributeur·trice·s gardent-il·elle·s tous leurs meilleurs films pour l'automne? Un commentaire qui fait suite à la discussion de la dernière édition de Cinébulletin sur la crise des salles de cinéma.

Il me tombe régulièrement dessus depuis quelques années. Il est même devenu chronique: l’accablement qui me gagne à chaque rentrée cinéma, ce moment de l’année qui devrait porter à se réjouir, puisqu’il n’y a jamais autant de bons films à l’affiche qu’en octobre et novembre. Or c'est bien là le problème.Il y a toujours eu plus de sorties en automne, Netflix et le digital n’y ont rien changé. Le ciel devient maussade, la nuit tombe plus tôt et on a envie d’aller au cinéma. Sauf qu’avec le numérique, la quantité de films proposés a augmenté de façon exponentielle. En conséquence, toujours plus de films ne font qu’un bref passage en salle, incapables de se maintenir plus longtemps à l’affiche.

 

Les films se font de l'ombre les uns aux autres

La tendance atteint son paroxysme en automne. Cette brève période de l’année, déjà riche en découvertes, croule désormais sous la surabondance. Toujours plus, toujours plus vite. Cela me dérangerait moins si l’offre était médiocre. Mais il semble que les distributeur·trice·s gardent leurs meilleurs titres pour la rentrée. Et les exploitant·e·s, qui doivent jongler avec tout ça, semblent ne pas pouvoir – ou ne pas vouloir – les en dissuader.

C’est ainsi que de nombreux films qui auraient mérité plus de considération se cannibalisent les uns les autres. Ils se disputent l’attention des médias, puis celle du public; se font concurrence dans les salles, puisque plusieurs exploitant·e·s montrent les mêmes films, de crainte de rater un succès. Thomas Imbach mettait le doigt sur ce problème dans le dernier Cinébulletin : « Le problème est non seulement qu’il existe trop de films, mais qu’en plus, nous ne savons pas gérer cette quantité. Du coup, tout le monde est dépassé, y compris le public. » Je ne suis qu’un petit élément de ce public, et n’en suis que partiellement représentatif. Mais ce qui me dépasse, c’est la suroffre en automne.

Cette situation m’exaspère en premier lieu en tant que critique de cinéma. Je ne dispose pas magiquement de plus d’espace rédactionnel à la fin de l’été, et me vois donc obligé de procéder à une sélection particulièrement sévère juste au moment où une avalanche de bons films se disputent l’affiche en l’espace de quelques semaines. Cela me frustre aussi en tant que cinéphile, parce qu’à cause de la pléthore de films à voir dès septembre, il m’arrive d’en rater, que je tenais à voir à tout prix (et encore, c’est mon métier – je me demande comment font celles et ceux qui ne peuvent se rendre au cinéma que dans leur temps libre).

 

Pour une meilleure répartition sur l'année

Mais cela me fâche surtout en tant qu’amateur d’œuvres incomparables comme « Lazzaro felice » ou « Atlantique », qui demandent du temps et qui disparaissent avant qu’on n’ait pu les recommander à son entourage. Les distributeur·trice·s doivent se défaire de tous ces titres achetés à prix fort pour faire de la place à ceux qui attendent derrière. Car qui sait, peut-être que l’un d’eux fera encore plus d’entrées, ou celui d’encore après. De toute façon, les distributeur·trice·s n’ont pas particulièrement intérêt à ce que leurs films restent longtemps à l’affiche, puisqu’après le lancement d’un film, la clé de répartition des recettes se modifie rapidement en faveur de l’exploitant·e : plus un film reste longtemps à l’affiche, moins les distributeur·trice·s y gagnent. Mais je ne veux pas pointer du doigt.Il existe des contraintes, c’est certain. Une sortie en salle doit être soigneusement préparée. Certaines dépendent de sorties en France ou en Allemagne. Mais parler de contraintes n’est souvent qu’une excuse pour un manque d’imagination. Même Imbach appelle à « une meilleure coordination ». Certes, mais réfléchissez aussi à une meilleure répartition sur l’année !

Parce qu’il me tombe régulièrement dessus, il est même devenu chronique : mon accablement à l’approche des mois de mai et de juin. J’aurais envie d’aller au cinéma, mais le programme est généralement insipide. Parce que les meilleurs titres sont épuisés. Ou parce qu’ils doivent attendre le retour de l’automne.

Florian Keller, Critique cinéma et journaliste culture pour la WoZ

 

▶  Texte original: allemand

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