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No Billag: ce n’est pas le moment «d’envoyer un signal»

Matthias Aebischer, président de Cinésuisse et conseiller national socialiste
03 janvier 2018

« Ce n’est pas ce qu’on avait imaginé », déclare Marie Bernard à son mari. En 2019, Joseph est en plein trou télévisuel du mois de janvier et Marie sait que ça n’est pas parti pour s’arranger. « Le meilleur pâtissier » sur M6 est tourné dans une petite ville du nord de la France dont Marie et Joseph n’ont jamais entendu parler. Les nouvelles sur la chaîne privée se répètent toutes les heures. En plus de ça, elles ne parlent pas du bon canton. La chaîne régionale des Bernard a mis la clé sous la porte il y a trois mois. Les canaux 1 à 4 n’affichent qu’un écran noir. La dernière série de la RTS, « Quartier des banques », que Joseph a offert en DVD à Marie pour Noël, commence à perdre de son attrait. Il faut dire que c’est la cinquième fois qu’ils la regardent. Lors du dernier générique, Joseph a soupiré : « C’était le bon temps ».

Pourtant, Marie et Joseph Bernard voulaient juste envoyer un signal, le 4 mars dernier, donner libre cours à leur énervement. Face aux longues pauses publicitaires juste avant le journal télévisé ; ou encore contre les journalistes. Joseph, par exemple, n’appréciait pas l’animateur des « Coups de cœur d’Alain Morisod ». Marie trouvait Alain super, mais elle n’aimait pas le trop grand nombre d’émissions sportives. Joseph regardait beaucoup le sport, mais avait horreur des deux commentateurs attitrés. Autant de raisons qui justifiaient, pour eux, de taper du poing sur la table. Ils ne savaient pas que leurs oui à « No Billag » sonneraient le glas aussi bien de la RTS que de la SSR. 

La vraie portée de l'initiative

Comment les Bernard auraient-ils pu imaginer les conséquences directes de leur vote ? Les initiateurs de « No Billag » ont tout le temps insisté sur le fait que le téléjournal continuerait d’exister, que quelqu’un serait certainement prêt, en cas d’acceptation de l’initiative, à payer pour des informations faites en Suisse. Des éditeurs et journalistes issus des médias qui profiteraient de la chute de la RTS, calculaient à l’époque que celle-ci survivrait à la fin des subventions. Même le conseiller fédéral Ueli Maurer disait encore trois mois avant la votation que la SSR devrait, le cas échéant, simplement se débrouiller avec un peu moins de moyens. Ce sont ces arguments qui ont fini de convaincre Joseph et Marie Bernard de voter « oui » à l’initiative. Juste pour taper du poing sur la table.

Nous pouvons nous estimer heureux, car ce scénario est évitable. L’initiative ne laisse la place à aucune alternative : « Elle (la Confédération) ne subventionne aucune chaîne de radio ou de télévision », c’est écrit noir sur blanc. En clair, la RTS devrait produire dès le 1er janvier 2019 dans quatre aires linguistiques des programmes radio et télévision avec un quart de son budget. C’est impossible. L’idée originelle de la SSR, soutenir les régions minoritaires et de périphérie, mourrait. Plus de RSI. Plus de journal télévisé. Plus de RTS. Plus d’aides au cinéma. Plus de visibilité pour la culture, le sport amateur et les traditions. Surtout, parce que la plupart des 34 radios et télévisions privées profitent aujourd’hui de la redevance, elles devraient être liquidées.

Les concessions iraient au plus offrant

La perte de cette diversité médiatique est une menace pour notre démocratie. Certain·e·s de celles et ceux qui s’engagent avec véhémence en faveur de l’initiative « No Billag » en seraient ravi·e·s. De grandes maisons d’édition, qui publient à charge contre la RTS, en sortiraient gagnantes, mais aussi des milliardaires qui déjà étoffent, dans cette optique, leur puissance médiatique. Christoph Blocher, par exemple, possède, en sus d’une chaîne de télé, pas moins de 26 journaux et magazines.
En cas d’acceptation de l’initiative par le peuple, le politicien pourrait parfaitement faire main basse sur les concessions de la RTS. Car le texte de « No Billag » n’acte pas seulement la suppression de la redevance, il prévoit aussi la mise aux enchères des concessions. Il n’existe aucune marge d’interprétation. La mise aux enchères signifie que les concessions iront au plus offrant. L’initiative encourage dès lors le processus de monopolisation des médias, ce n’est pas digne d’une démocratie. C’est pourquoi nous devons tout mettre en œuvre, afin que Marie et Joseph Bernard soient au fait du sérieux de la situation, avant le 4 mars 2018. L’initiative n’est pas une occasion de taper du poing sur la table.

▶  Texte original : allemand

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