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Liberté et obstacles


04 avril 2016

Avec « Trading Paradise », le 4e concours Film documentaire-CH du Pour-cent culturel Migros a couronné un film politiquement engagé.  A quelques jours de la première mondiale à Nyon, Daniel Schweizer parle de la genèse de son projet et des conditions de tournage.

Par Kathrin Halter

Le conseiller national UDC Maximilian Reimann est impressionné : il trouve le travail de Glencore au Pérou remarquable – et peu importe que la puissante société de négoce de matières premières, dont le siège est à Baar dans le canton de Zoug, soit régulièrement pointée du doigt par des « ONG idéologiques », l’accusant de graves violations des droits de l’homme et de destruction de l’environnement. La conseillère nationale PLR Doris Fiala, elle, trouve que le principal problème de l’entreprise est son manque de transparence. Elle recommande donc au responsable sur place de communiquer de manière plus offensive.

Huit membres de la Commission de politique extérieure du Conseil national se sont rendus au Pérou pour se faire une idée des pratiques commerciales de la multinationale, qui y exploite une mine de cuivre. Là-bas, ils ont rencontré entre autres un représentant de la population locale qui les a prévenu d'atteintes à l'environnement. Ils étaient accompagnés par Daniel Schweizer : dans son nouveau film « Trading Paradise » le réalisateur s’intéresse non seulement au point de vue des voisins immédiats de la mine, des représentants des ONG ou du directeur local de Glencore, mais aussi à la manière dont ces pratiques commerciales déteignent sur la réputation de notre pays. Avec le même objectif, il s’est rendu en Zambie, où Glencore exploite également une mine de cuivre, et au Brésil, où des indigènes protestent contre la pollution des rivières et la présence d’une mine en pleine réserve nationale, exploitée par Vale, autre multinationale suisse dont le siège est à Lausanne. Le réalisateur genevois a tenté d’entamer un dialogue avec les PDG de ces deux entreprises.

Travail simple et rapide

Si le film a pu voir le jour, c’est grâce au concours Film documentaire-CH. Comment Daniel Schweizer a-t-il vécu la collaboration avec ses sponsors ? A-t-elle eu un impact sur son travail ? Et que pense-t-il de cette forme d’encouragement ? Nous nous rencontrons à Zurich. Selon le réalisateur genevois, le principal atout du prix est la rapidité avec laquelle il permet de produire un film. Il lui a ainsi fallu tout juste deux ans pour l’ensemble du projet, depuis le premier traitement jusqu’au montage final du film – normalement il faut compter deux ou trois années supplémentaires.

Dans son cas, le modèle présente néanmoins un inconvénient : le montant du prix, tout juste inférieur à 500'000 francs, est trop modeste pour un film dont la majeure partie du tournage s’est faite à l’étranger, notamment au vu de la clause interdisant la recherche de fonds supplémentaires. Schweizer s’est donc vu contraint de raccourcir le temps de tournage et de travailler avec une équipe réduite. Il s’est par exemple rendu au Brésil seul avec son caméraman, se chargeant lui-même de la prise de son. Il aurait pourtant souhaité pouvoir passer plus de temps avec ses protagonistes.

Secondé par son producteur Valentin Greutert, Schweizer avait soumis un dossier en printemps 2014. Le fait que la 4e édition du concours n’impose pas de thème à jouer à son avantage. L’idée de « Trading Paradise » était issue de ses travaux antérieurs : en 2009, il a réalisé « Dirty Paradise » sur l’extraction aurifère en Amazonie et ses conséquences sur les indigènes et l’écosystème, en 2015 il s’est penché sur l’industrie de l’or avec « Dirty Gold War ». « Trading Paradise » clôt donc une trilogie sur le commerce des matières premières et le lien de celui-ci avec la Suisse.

Une vraie liberté d'action

A l’été, Schweizer et deux autres réalisateurs, Ufuk Emiroglu et François Kohler, se sont vu attribuer chacun 25'000 francs pour le développement de leurs projets respectifs jusqu’au stade de la production. Grâce à ce soutien, Schweizer a pu se rendre en Amérique latine pour effectuer recherches et repérages. Lors de la présentation du projet en décembre, il a donc pu expliquer son projet au jury avec l’appui de photos issues de ces voyages. Le dossier comprenait également un budget et un premier plan d’exploitation. Schweizer a gagné le deuxième tour du concours et s’est vu remettre 480'000 francs pour la réalisation du film. La remise du prix a eu lieu dans le cadre des Journées de Soleure, suivie de la signature du contrat (qui stipule, entre autres, que les droits du film vont au producteur).

Les préparatifs du tournage ont eu lieu en mars 2015, le tournage lui-même a démarré en avril. Après les premières prises de vue à Lausanne (des manifestations devant le siège de Vale), l’équipe s’est rendue dans le courant de l’été au Brésil, puis en septembre en Zambie. Les dernières images ont été tournées à Davos dans le cadre du World Economic Forum. Le montage a duré ensuite près d’une année.

Schweizer a beaucoup apprécié la liberté qui lui a été accordée, et le respect témoigné à son travail. « Il faut tout de même du courage pour soutenir un tel film », dit-il, d’autant plus qu’il affirme avoir été d’entrée de jeu très clair sur ses intentions. Pendant la phase de compétition deux consultations ont eu lieu avec Nicole Hess, la responsable du projet à l’époque. Plus tard le réalisateur a montré sa première version de montage à Regula Wolf et Nadine Adler du Pour-cent culturel Migros, et à Urs Augustburger et Sven Wälti de la SSR. A cette occasion, il a reçu des feedbacks et quelques suggestions, mais les responsables ne sont jamais intervenus du point de vue du contenu, puisqu’ils jouent le rôle de soutien et non pas de coproducteurs ou de mandataires.

Le filtre des relations publiques

La communication a été plus compliquée avec les PDG des deux géants miniers. Glencore s’est montré ouvert à une rencontre, suite à un entretien du cinéaste avec l'avocat du PDG l’entreprise, Ivan Glasenberg. Vale, par contre, a refusé tout contact, sur recommandation de Burson-Marsteller, l’agence de relations publiques du groupe.

Devant la caméra, Ivan Glasenberg nie en bloc toute accusation de violation des droits humains ou problèmes écologiques. Il a exigé de recevoir la liste des questions en amont et il se présente à l’entretien accompagné par trois responsables de la communication qui ne le quittent pas d’une semelle. Schweizer a également dû obtenir un permis de la part de l’entreprise pour tourner à l’intérieur de la mine, et une des conditions auxquelles a été soumise l’entretien avec Glasenberg était un droit de regard sur le matériel tourné. Schweizer constate qu’un débat public entre la société civile et les grandes entreprises n’est malheureusement plus possible : « On est dans un rapport de force entre la communication faite par les entreprises et le travail du cinéma, qui cherche la vérité au plus près. »

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