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« Il y a trop de producteurs de films de commande »

Kathrin Halter
16 juin 2017

Peter Beck, président de Swissfilm Association et producteur de films publicitaires, s’exprime sur son industrie, la Suisse comme lieu de production, la concurrence étrangère et les casseurs de prix.

Comment se porte la branche suisse des films publicitaires ?
Il n’existe pas de réponse simple à cette question. Nous allons plutôt bien, même si beaucoup se plaignent. La branche traverse une grande mutation et les restructurations ne sont jamais agréables. Depuis les années 1990, les besoins en images dites animées sont en constante croissance, et pas seulement pour internet, ce qui augmente les volumes de commandes. Mais les prix se sont écroulés depuis que tout un chacun peut théoriquement tourner un film avec son smartphone. Auparavant, un film promotionnel pour une entreprise moyenne coûtait entre 80'000 et 150'000 francs, maintenant on se situe plutôt autour de 50'000 francs. Les prix ont été réduits de moitié – dans les années 1980, les budgets étaient même quatre fois supérieurs.

Cette baisse des prix concerne-t-elle aussi les clients importants ?
Même les grandes enseignes comme Suisse Tourisme ou la Migros sont devenues très attentives aux coûts et comparent avec l’offre qui existe à l’étranger. Les nouveaux clients entrent généralement en bas de l’échelle. Il existe du très cher et beaucoup de productions à faible coût. Ce qui a en grande partie disparu, c’est la fourchette du milieu.

Quelles en sont les causes ?
Dans les années 1990, il y avait un obstacle à l’investissement. Or la baisse du coût de la technique fait que ce seuil a fortement baissé. La postproduction, notamment, était beaucoup plus chère à l’époque : un bon système de montage vidéo coûtait environ un million de francs, qui devait être amorti. Aujourd’hui, on peut s’équiper correctement pour quelques dizaines de milliers de francs. Au lieu d’un vol en hélicoptère, on utilise un drone. En revanche, les frais de personnel n’ont pas baissé.

L’effondrement des prix a aussi à voir avec les offres à bas coût et les fausses attentes des clients. On y observe une spirale descendante. Il existe beaucoup trop d’offres à bas prix qui cassent le marché. Un exemple : deux jeunes ont réalisé un portrait de leur commune pour trois fois rien. Ce n’était pas une production très professionnelle, et elle était incomparable avec un travail de haute qualité. Les conséquences pour le marché ont néanmoins été mauvaises. De telles offres influencent la perception publique qu’il ne faut pas grand-chose pour produire un film. Il est par ailleurs illusoire de penser qu’on peut en tant que débutant commencer avec des prix bas que l’on augmentera par la suite. Les prix resteront bas. Il arrive ensuite que même des professionnels ne puissent pas toujours dire non.

Comment réagit-on à cette chute des prix ?
De nombreuses entreprises ont réduit leurs effectifs. Il arrive souvent que des spécialistes ne soient engagés que lorsqu’ils sont indispensables. Le style de production a aussi fortement changé. Certains métiers disparaissent complètement ou se transforment. De la nouveauté émerge. Il ne faut pas oublier que le marché suisse est petit. Il y a trop de producteurs de films de commande – ils sont environ mille, mais seuls 100 à 200 peuvent en vivre.

Malgré cela, le domaine du film publicitaire brasse plus d’argent que la production indépendante.
C’est vrai. Nous ne disposons pas de chiffres récents, mais d’après une enquête de l’OFS de 2013 sur le volume de production en Suisse, le chiffre d’affaires des films publicitaires se situe autour de 207 millions de francs, alors qu’à 153 millions, celui de la production indépendante est nettement plus bas. On souffre donc pour ainsi dire à un niveau élevé. Relativement parlant, en Suisse, nous nous portons encore à merveille.

A quel niveau réalise-t-on le plus d’économies dans la production de films publicitaires ?
Au niveau de la musique et en postproduction. On fait l’étalonnage soi-même ou on travaille avec un système bon marché. Mais la postproduction n’est pas seulement devenue moins chère, elle est aussi devenue plus exigeante. On ne réalise plus deux versions comme avant : aujourd’hui, chaque format, que ce soit pour la télévision ou le web, demande généralement son propre montage, son propre mixage, ce qui donne parfois jusqu’à quinze versions différentes par spot.

Est-ce vrai que le domaine des films de commande et publicitaires se concentre toujours plus en ligne ?
Le volume total de minutes de film présentes sur le net a massivement augmenté. En revanche, on réalise de moins en moins de spots de cinéma. On voit ça aux films soumis pour l’Edi., où les publicités TV dominaient auparavant. On n’en compte plus que 70 aujourd’hui, contre 120 avant – auxquelles s’ajoutent encore 70 destinées à l’internet. On voit de plus en plus s’imposer des campagnes au format modulaire, où nous préparons des spots dans plusieurs versions différentes prévues pour le cinéma, la télévision, le web, les médias sociaux et les écrans dans les espaces publics.

Quelle est l’importance de la concurrence étrangère pour les producteurs suisses ?
Il y a une forte pression sur le marché publicitaire classique, parce que les clients, mais aussi les agences, achètent ou produisent volontiers à l’étranger. Dans les années 1980, il existait une certaine pression pour engager des réalisateurs de renommée internationale. Les entreprises étrangères ont en outre l’avantage du franc suisse fort et le fait qu’elles ne doivent pas payer la TVA. Mais je siège depuis des années dans des jurys internationaux et je m’y connais bien en films d’entreprise bien réalisés. Ils ne sont en aucun cas moins chers. Et sur le marché publicitaire classique, pour vous donner un autre exemple, les comédiens voix off allemands sont plus chers. Un autre problème est que les entreprises étrangères font parfois des offres à moitié sérieuses, par exemple un film d’entreprise à 20'000 francs – mais les clients sont généralement insatisfaits du résultat. Dans tous les cas, je crois que les changements structurels qui ont lieu dans le domaine et les variations au niveau des prix représentent un plus grand problème que la concurrence étrangère.

Un spot de la compagnie WerbeWeischer fait la promotion de la Suisse comme lieu de production. La « suissitude » est-elle un argument efficace ?
Ça marche souvent bien et ça fait sens. Surtout dans le domaine du film d’entreprise, il ne sert à rien de chercher à l’étranger. S’il nous arrive d’importer certaines prestations spécialisées de l’étranger, le gros du travail est fait par des gens d’ici. Mais il arrive que la soi-disant suissitude ne soit que du vent. Certaines entreprises se servent en effet de cette devise pour des raisons d’image, mais sans s’y tenir, préférant acheter et produire à l’étranger.

Dans une lettre ouverte, le Syndicat suisse film et vidéo SSFV critique le fait que « même dans les productions cinéma et TV suisses, il arrive de plus en plus souvent que l’on n’engage pas des techniciens suisses, mais du personnel en provenance des pays voisins ».
Swissfilm Association s’engage pour que les professionnels suisses soient pris en considération et pour que les mandats soient confiés à des Suisses. S’il est légitime de travailler là où les prix sont plus bas, ce n’est pas notre modèle. Les exceptions existent surtout dans le cas de scènes nécessitant des décors et un grand nombre de figurants. Elles sont souvent tournées en Europe de l’Est, notamment à Prague, avec des équipes techniques locales. En Suisse, ce serait impayable. Par ailleurs, nous payons les techniciens dans la pub presque le double de ce qui est d’usage dans la production indépendante.

Comment cela se fait-il ?
Il y a deux différents salaires indicatifs, ce qui représente en réalité une discrimination contre la branche des films de commande et publicitaires. Chez nous, les techniciens sont rémunérés sur la base d’un forfait journalier, qui revient quasiment à deux fois le forfait hebdomadaire en cours dans le domaine de la fiction, où l’on est engagé pour deux ou trois mois plutôt que deux ou trois jours. Mais la différence entre ces salaires indicatifs n’est pas justifiée pour autant. De plus, une journée de travail sur une fiction dure dix heures, alors que sur un film publicitaire elle en dure neuf. Nous payons donc plus pour une prestation moindre. Nous avons protesté contre cette situation, mais une entente au sujet de ces tarifs est encore en suspens (ndlr: le salaire indicatif d’un chef-opérateur au cinéma varie entre 3'655 et 4'750 CHF la semaine, ou pour un «petit projet», entre 2'625 et 3'410 CHF. Le salaire journalier dans la publicité se situe entre 1'185 et 1'340 CHF.)

Existe-t-il des statistiques relatives au nombre de réalisateurs et autres professionnels qui travaillent régulièrement dans les deux domaines ?
Parmi les membres de notre association, le pourcentage de personnes se consacrant aux deux est petit. Mais de nombreuses personnes survivent à peine de la fiction et tournent de temps à autre un film de commande, ce n’est un secret pour personne. Les deux domaines se complètent, ils existent côte à côte. En Suisse romande, on trouve de nombreuses sociétés de production qui produisent à la fois des fictions, des documentaires et des films de commande. Mais puisque ceux-ci sont généralement membres d’autres associations de producteurs, nous ne comptons presque pas de Romands chez nous.

 

L’Edi. a 40 ans

« Edi. », le prix suisse récompensant les films de commande et publicitaires fête ses quarante ans. Il a été créé en 1977 sur une initiative d’Alex Bäninger, chef de la section cinéma de l’OFC de l’époque. D’abord intitulé «Les meilleures productions de commande suisse», il fait écho à deux autres compétitions du domaine des arts appliqués, «Les plus beaux livres suisses» et «Les meilleures affiches». Comme ces derniers, il est placé sous l’égide du Département fédéral de l’intérieur et organisé par un organisme privé. De 1977 à 1986, ce sera la Société pour le développement de l’économie suisse (aujourd’hui Economiesuisse), de 1987 à 1995, l’association de producteurs AAV. Suivent deux éditions au Tessin et une réorganisation en 1999. Le premier Edi. a lieu en 2000 sur la scène récemment réouverte du Schiffbau à Zurich. C’est désormais la Swissfilm Association qui l’organise, avec près de 300 candidatures et plus de 750 invités lors de la remise des prix.

Call for Entries Edi. 17
Du 1er juillet au 28 août 2017 (délai pour la remise des films)

Livraison des données des films 
Jusqu’au 31 août 2017 au plus tard

Publication de la shortlist
A partir du 16 octobre

Remise des prix de l’Edi.17
Jeudi 2 novembre 2017.

Conditions de participation et règlement : www.edinet.ch

▶  Texte original: allemand

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