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Esmé Sciaroni, maquillage à l’italienne

Stéphanie Billeter
21 juillet 2017

En ce matin de début juillet, le soleil brille à Minusio. « Chaque fois que j’ouvre les fenêtres, je me dis que c’est le paradis», dépeint Esmé Sciaroni. Un paradis, ce Tessin, où elle recevra lors du festival de Locarno le Premio Cinema Ticino, qui récompense depuis 2009 une personnalité du canton active dans le cinéma. A l’idée de pouvoir aller chercher ce prix (presque) à pied depuis chez elle, Esmé lance un grand éclat de rire. Cristallin, étincelant, il transmet le soleil tessinois à travers le téléphone. « C’est totalement inattendu, je n’aurais jamais pensé le recevoir. » La modestie d’Esmé n’est pas feinte. Son métier de maquilleuse, 31 ans de carrière, vient d’un amour du cinéma. Un amour né, il n’est pas de hasard, grâce au festival. « J’ai grandi avec le festival de Locarno et aussi avec les ciné-clubs, où j’ai vu tous les Bergman, les Tarkovski, les Dreyer... »

Formation  parisienne

Adolescente, c’est décidé, elle travaillera dans le cinéma. « J’avais fait un apprentissage d’esthéticienne et je prenais des cours de théâtre. Je sentais que je voulais être dans ce métier. » Ce sera le maquillage. En italien, maquilleuse se dit « truccatrice ». Mais avec Esmé, pas question de « trucs ». Elle est directe et surtout, fidèle. Fidèle à son canton, fidèle aux cinéastes, mais pour se former au métier, elle doit quitter le Tessin, direction Paris à l’âge de 19 ans : « J’avais un ami parti à la Fémis et je savais que c’était là que je trouverais une école. » Son diplôme en poche, il ne lui est pas possible de rester. Sans accords bilatéraux à cette époque, la Suissesse doit rentrer au pays.

Après sa première expérience en 1985 sur un film de Villi Hermann, son coup de chance fut de tomber sur une annonce pour une pub réalisée par Silvio Soldini. « Nous sommes devenus amis et j’ai travaillé avec lui sur tous ses films. On a grandi ensemble. D’ailleurs, j’ai fait le dernier il y a quelques mois. Avec Soldini, c’est comme avec Gianni Amelio qui m’a engagée sur « Il ladro di bambini », le début d’une grande collaboration. »

Collaboration, vision commune… Esmé Sciaroni s’investit sur un film à tous les niveaux, depuis la préparation jusqu’à la postproduction. « Avant tout, je suis fidèle au film. Si un metteur en scène a un différend avec une actrice ou un acteur, je prends parti pour le film. » Elle s’investit aussi pour les techniciens et surtout, membre très active de l’Association des techniciens du Tessin durant vingt ans jusqu’en 2005, elle bataille pour que les Tessinois soient plus présents sur les productions et coproductions suisses.

Des visages naturels

Et sa technique à elle ? Esmé a apporté un ton naturel aux visages italiens : « Il y a vingt ans, le maquillage devait se voir, ils ne connaissaient rien d’autre. » Ainsi, elle conquiert Amelio, qui la fera monter sur la scène de la Piazza Grande pour présenter « Il ladro di bambini » en 1992. « Aiuto ! », s’exclame-t-elle en se souvenant de sa crainte de monter sur cette impressionnante scène, elle, la discrète metteuse en beauté. Elle retrouve le cinéaste sur «Lamerica», «film incompris», avant d’être empêchée de travailler en Italie, du fait de la loi de protection interdisant l’embauche de techniciens extracommunautaires. « Des cinéastes italiens m’appelaient, disant qu’ils aimeraient travailler avec moi mais qu’ils ne pouvaient pas, au risque de perdre leurs subventions. » Grâce à Ruth Walburger, productrice sur « Lamerica », Esmé intègre des coproductions comme « On connaît la chanson » ou « Pola X ». Mais les tournages se font rares et elle profite de la création de l’université au Tessin pour devenir architecte. Une autre manière d’apprendre, de sculpter les formes, d’embellir le monde. Si elle garde de ces années d’université un souvenir merveilleux, surtout grâce à Peter Zumthor, « un autre maestro », l’appel du cinéma est plus fort et avec les accords bilatéraux, son talent réinvestit les plateaux de tournage en Italie.

Il suffit de lui demander quelle est la « patte Sciaroni » pour que son rire résonne encore. « Je ne sais pas. Sans doute ai-je de bonnes relations avec les acteurs et les actrices. » Ainsi, Valeria Bruni-Tedeschi étant « tombée amoureuse » de son maquillage transparent, elle la fait appeler à chaque tournage. « Vous avez vu  « La Pazza gioia » ? Valeria y est incroyable. Comme mon fils a assisté à un bout du tournage, je lui ai montré le film. » Un fils à qui elle transmet le goût des films, persuadée que le cinéma doit faire rêver. Et elle reste proche de Silvio Soldini et de Gianni Amelio, avec qui « on reste en contact en dehors des tournages ». Amelio l’a d’ailleurs rappelée cette année pour son film « La tendresse». Forcément.

 

▶  Texte original: français

 

Remise du prix, 9 août, 21h30, Piazza Grande

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