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Engagement emblématique


04 avril 2016

Quels ont été les points les plus chaudement débattus durant ces négociations ? Quels sont les changements qu’apporte le nouveau Pacte ? Et en quoi les films de cinéma, les téléfilms et les productions de commande se distinguent-ils ? Entretien croisé avec Sven Wälti, Lukas Hobi et Edgar Hagen.

Propos recueillis par Kathrin Halter

Comment avez-vous vécu les négociations ? Furent-elles dures ?négociations ? Ont-elles été dures ?

Edgar Hagen (EH) : Les associations ont présenté un front uni durant les négociations : nous voulions que 50% des fonds du Pacte soient réservés aux films de cinéma. Or la SRG est elle aussi arrivée avec une idée claire de ce qu’elle voulait.
Sven Wälti (SW) : Les négociations n’ont pas été faciles, surtout au début. Il y avait deux fronts bien définis, et l’exigence maximale de la branche était relativement éloignée de ce que nous étions à même de proposer. Nous voulions poursuivre dans le cadre existant. Puis les négociations ont été suspendues entre janvier et août, et ont seulement pu reprendre parce que les deux côtés se sont montrés prêts à trouver des compromis. Après l’automne, tout s’est très bien passé.
Lukas Hobi (LH) : C’est la quatrième fois que je participe à ces négociations. Alors que les fois précédentes, il ne s’agissait en principe que de l’augmentation du budget et d’une prolongation du contrat avec quelques petits changements, cette fois-ci, ce furent de véritables négociations.

Le budget du Pacte a été relevé à 27,5 millions de francs par année, soit une augmentation de 5,2 millions de francs. Or ces 5 millions ont aussi été dépensés les années précédentes, notamment sous forme de fonds hors Pacte. Peut-on donc dire que dans l’ensemble, il ne s’agit pas réellement d’une augmentation, mais plutôt d’une redistribution?

SW : Si l’on ne regarde que le Pacte, il s’agit d’une augmentation, même si dans l’ensemble, nous ne disposons pas maintenant de plus d’argent pour l’encouragement du cinéma. Le volume des fonds investis dans les productions du Pacte ces dernières années se situait déjà autour de 30 millions de francs par année. Nous n’étions juste pas tenus de dépenser ces fonds supplémentaires.

D’où proviennent ces 5,2 millions de francs ?

SW : Les fonds du Pacte font partie de l’argent public en provenance de la SSR. Nous avons effectué le chemin inverse en convainquant la SRF et la RTS de chacune consacrer au Pacte 2,5 millions de leurs propres fonds rédactionnels, qui passaient normalement dans la production de téléfilms et de séries. Depuis quelques années, la RTS produit surtout des séries dans le domaine de la fiction. Or elle ne pouvait les financer qu’à hauteur de 30% avec les fonds du Pacte, le reste provenant de la rédaction. Cet argent est désormais investi dans le Pacte. En contrepartie, la clause des 30% a été supprimée.
LH : Nous avons toujours parlé d’une « pactisation » des fonds en provenance des unités d’entreprise SRF, RTS ou RSI qui passaient déjà dans la création indépendante auparavant. Le nouveau Pacte ne permet pas de tourner davantage de films. Ce qui compte, c’est plutôt un certain effet psychologique : plus de fonds sont désormais garantis dans le cadre du Pacte, et les unités d’entreprise devront davantage s’engager. Dans un monde parfait, nous aurions un Pacte qui règle tout, soit l’ensemble des 40 millions alloués en moyenne chaque année à l’industrie du cinéma.

EH : Les fonds « pactisés » sont aussi soumis à d’autres lignes directrices, qui relèvent du partenariat plutôt que de directives.

Un point contesté du dernier Pacte était la règle dite du 60:40, selon laquelle 60% des fonds étaient prévus pour les téléfilms contre 40% pour les films de cinéma. La profession souhaitait un retour au régime 50:50. Au lieu de cela, un montant minimal de 9 millions est désormais réservé aux films de cinéma. A quoi cela correspond-il en termes de pourcentage ?

SW : Nous n’avons pas fait ce calcul parce que nous avons décidé relativement tôt d’abolir le principe du 60:40. La profession a toujours critiqué cette répartition, en outre elle était difficile à appliquer en pratique. En même temps, la SSR vise depuis le début des négociations une flexibilisation, c’est-à-dire que nous souhaitions renoncer à la distinction faite entre les projets cinéma, TV et multimédia. Mais la profession n’en a pas voulu – au lieu de cela, elle exigeait qu’un montant minimal soit réservé aux films de cinéma. Nous nous sommes donc mis d’accord sur ce montant.

A titre de comparaison, à combien se chiffrait le montant dévolu jusqu’à présent aux projets cinéma, selon la règle 60:40 ?

LH: Si c'était réellement seulement 40% des fonds qui étaient passés dans les projets de cinéma, on aurait maintenant environ 2 millions de plus. Mais les chiffres montrent que ces quatre dernières années, le montant investi par la SSR dans le cinéma s’élèvait plutôt à quelque 47-52%. Les 9 millions exigés ne représentent donc pas une réelle augmentation, c’est pourquoi il a été relativement facile de convaincre la SSR de s’engager sur ce montant.

La branche cinématographique demande désormais que la SSR investisse 4% de son chiffre d’affaires dans le cinéma indépendant, ce qui représente 40 millions de francs par année.

EH : C’est avec cette revendication que nous nous sommes assis à la table des négociations. Ce chiffre est lié aux concessions, selon la Loi sur la radio et la télévision.
SW : Ce n’est justement pas écrit ainsi dans la loi. Le fait est que la SSR a tellement d’obligations, dont certaines sont techniquement sophistiquées et coûteuses, que nous avons été exemptés de cette obligation des 4%. Celle-ci ne vaut que pour les chaînes privées. Par ailleurs, la SSR a une concession beaucoup plus stricte et doit s’acquitter de bien plus que les chaînes régionales. En revanche, nous sommes tenus de parvenir à un accord avec l’industrie du cinéma. En cas d’échec, la décision revient à l’Office fédéral de la communication.
LH : L’argument de la profession est justement que l’OFCOM s’orienterait probablement en fonction des 4%.
SW : Sur demande de la profession, nous avons produit les chiffres de ces dernières années, qui montrent que nous investissons en moyenne 40 millions de francs par année dans le cinéma indépendant. Environ 30 millions vont dans les coproductions réalisées dans le cadre du Pacte et 10  millions dans les films de commande.

Êtes-vous satisfaits de cette nouvelle solution pour les projets de cinéma ?

LH : Il y a quelque chose qui est probablement plus important que le montant de l’accord : sous le mot d’ordre de la flexibilité, la SSR voulait faire l’amalgame entre le cinéma et la télévision. Or ces domaines restent séparés avec des règlements distincts. Les 9 millions sont un engagement envers le cinéma, cela a une valeur emblématique.
SW : Nous n’avons jamais dit que nous ne ferions plus de distinctions entre les deux. Nous avons juste dit que dans le cadre de l’encouragement, il n’y aurait dorénavant plus que des « projets de films » avec différents modes de diffusion. Mais la profession n’était pas disposée à franchir ce pas.

Les téléfilms et les films de cinéma se distinguent par une philosophie et une approche très différentes. La liberté artistique est nettement plus importante dans le cas des derniers.

SW : Mais ce sont aussi des producteurs et auteurs indépendants qui sont à l’origine des idées et des propositions derrière les téléfilms. En ce qui concerne les films de cinéma, depuis quelques années, nous ne faisons plus de développement, nous intervenons au stade de la production. Et nous ne sommes qu’un partenaire parmi d’autres : dans les projets de cinéma, notre participation financière se situe autour de 10-20%. Dans le cas des productions télévisuelles, à 70-80%, notre participation est bien plus importante, aussi du fait du retrait de l’OFC, qui ne soutient plus les téléfilms.
LH : Le fait que les producteurs soient plus libres et indépendants dans le cas des projets de cinéma est indéniable, mais c'est aussi vrai pour les droits qui leur reviennent. Dans le cas des téléfilms la SSR souhaite peser plus lourd sur les décisions au niveau juridique. Le développement des projets TV et cinéma diverge à ce niveau-là.

En parlant de liberté, un élément décisif est le choix des sujets, ou encore le stade auquel on détermine les canaux de diffusion, respectivement le public cible.

SW : Il est clair que les téléfilms sont toujours créés pour un créneau horaire bien défini. A ce niveau-là, il y a des directives qui doivent être prises en considération lors du dépôt du dossier. En revanche, dans le cas du cinéma, nous ne nous intéressons pas seulement à la pertinence du point de vue de la programmation – nous nous engageons lorsque nous croyons à un projet, même si nous savons qu’il ne s’adresse pas nécessairement à un large public.
LH : Le samedi soir, la SRF ne diffuse pas seulement des comédies, il suffit de penser à « Lina », « Verdacht » ou « Ziellos ». En tant que producteur, il faut se demander si on a envie de faire des téléfilms. Le fait qu’une chaîne ait des besoins spécifiques auxquels il faut répondre est normal et fait sens. D’un autre côté, les services de rédaction dépendent du savoir-faire des producteurs, ils ne peuvent pas réaliser de films eux-mêmes.
EH : La question de la nature de la collaboration avec la SSR se pose aussi dans le cas des films documentaires. Si elle est directive, si la télévision nous impose ce à quoi doivent ressembler les films, ce n’est pas satisfaisant. La manière dont on définit la « pertinence du point de vue de la programmation » est sujette à débat. Pour nous, avoir une marge de créativité signifie notamment de pouvoir participer à cette définition.
SW : Toutes ces années, nous avons cherché à comprendre ce qui est important pour la profession. Les producteurs peuvent aussi renforcer leur indépendance à travers la continuité, en collaborant régulièrement avec la télévision. En tournant par exemple une fois un téléfilm créé sur mesure pour un certain créneau horaire, puis en produisant deux projets de cinéma.

Pourriez-vous expliquer la différence entre un téléfilm et un film de commande ?

LH : Ces deux types de projets se distinguent déjà au stade du développement. Dans le cas du téléfilm, le premier synopsis est soumis par la production, alors que pour les films de commande comme « Tatort » ,c’est la rédaction qui s’adresse aux auteurs, l’idée est donc plus longtemps développée au sein de la rédaction. Les aspects juridiques et financiers se distinguent également. Dans le cas des films de commande, le producteur n’apporte pas de ressources propres. En revanche, il n’y a aucune différence du point de vue des réalisateurs, le rédacteur n’est pas plus présent sur le plateau d’un film de commande que sur le tournage d’un téléfilm. Les conditions sont claires : c’est la télévision qui se charge du travail médiatique, qui se fait sous le logo SRF Schweizer Film. En dernière instance, rien ne distingue un travail de commande d’une coproduction.

Qu’en est-il des documentaires ?

EH : Comme la SRF a ses propres employés, elle ne passe quasiment pas de commandes dans le domaine du documentaire prime time. Si les subventions destinées aux documentaires TV dans le cadre du Pacte devaient être augmentées, il faudrait se demander comment cela se reflète à la SRF. La création indépendante est plus présente en Suisse romande ou au Tessin que dans les programmes de la SRF. Ici, nous avons en majorité des productions internes, c’est plutôt exceptionnel de voir en prime time un film produit dans le cadre du Pacte.
SW : Mais ça arrive de plus en plus souvent.
EH : Oui, il y a une certaine prise de con-science. Mais il en faut plus que cela. Si elle nous force à être dans une situation de commande, la collaboration avec la télévision perd en attractivité.

On s’inquiète apparemment à la RTS d’une restructuration des fonds hors Pacte – qui affecterait les séries, alors qu'elles connaissent actuellement un essor. Sont-elles donc menacées ?

SW : Dans le cadre des mesures d’économies mises en œuvre par la SSR l’année dernière, chaque région a dû déterminer où effectuer ses coupes budgétaires. La RTS a décidé d’économiser 1 million de francs dans le domaine de la fiction, en conséquence de quoi elle ne peut désormais que produire une seule série par année, en comparaison avec environ deux séries réparties sur trois ans avant les coupes.

Quelles seront les répercussions à la SRF ?

SW: A la SRF, nous produirons plus de documentaires destinés au cinéma qu’auparavant. Pas grand-chose ne changera dans le domaine de la fiction. Le financement de « Der Bestatter » ou de « Tatort » ne dépend pas du Pacte, et les deux téléfilms produits par année sont déjà définis, ainsi qu’une nouvelle série qui est actuellement en cours de développement.

Parlons des droits d’exploitation TV. L’exclusivité a été prolongée à 5 ans pour les films de cinéma et à 15 ans pour les productions TV. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette nouvelle réglementation ?

LH : C’est une bonne réglementation, parce que cette exclusivité n’est valable que dans le cas où un film est rediffusé dans les deux ans. Si ce n’est pas le cas, l’exclusivité devient caduque. Ce qui nous intéresse en effet, c’est que les films soient diffusés le plus souvent possible. De plus, l’indemnité en cas de passage à l’antenne est plus élevée que dans le cas d’une vente à un exploitant privé.

Quel a été l’impact sur la discussion de l’évolution des habitudes de visionnement et des nouvelles formes d’utilisation ?

SW : Nous avons bien entendu parlé de la VoD et des droits de diffusion sur Internet. Les téléfilms et les séries peuvent désormais être mis en ligne une semaine précédant leur diffusion et jusqu’à 30 jours suivant celle-ci. Dans le cas des films de cinéma, c’est 48 heures avant et 7 jours après. Là, nous nous sommes adaptés aux nouvelles habitudes d’utilisation.
EH : Ce qui est important pour nous à l’ARF/FDS, c’est qu’en cas de diffusion Internet les droits d'auteur des films du Pacte soient payés, c’est-à-dire que nous voulons que les droits d’auteur soient garantis en ligne. Nous sommes parvenus à un consensus à ce niveau-là.

Pourquoi proposer des films en ligne avant leur diffusion ?

SW : Cela nous permet à la fois de nous adresser à un nouveau public et d’anticiper la diffusion. Nous avons fait de bonnes expériences avec la série internationale « The Team », coproduite par la SRF et la RTS, d’abord proposée en ligne. La diffusion de la série en a profité. Pour revenir à l’idée de la flexibilisation, l’étape suivante serait, bien sûr, encore plus de liberté quant au contenu et à la fenêtre de diffusion sur le Web. La frontière entre la télévision et le digital est amenée à disparaître dans un avenir proche.

L’initiative Billag mobilise contre la SSR ; le résultat de la votation sur la nouvelle Loi sur la radio et la télévision a été très serré. Quelle est la position de l’industrie du cinéma sur la question ?

SW : Nous avons regretté l’absence de soutien de la profession l’été dernier. Mais nous avons toujours voulu garder cette discussion séparée des négociations sur le Pacte. Or la branche est d’accord avec nous sur l’importance d’une SSR forte.
LH : Je suis persuadé que la SSR aurait bénéficié d’un soutien beaucoup plus important si les négociations sur le Pacte n’avaient pas justement été dans l’impasse à ce moment-là. La votation aurait lieu cette année, les choses se passeraient tout autrement.

Pour terminer, faites un pronostic : le nouveau Pacte fera-t-il ses preuves ?

EH : Le Pacte représente un engagement pour la collaboration, c’est un signal fort. Du point de vue de l’ Association suisse des scénaristes et réalisateurs de films, un rapprochement des trois régions linguistiques serait désirable : la SRF pourrait par exemple s’inspirer de l’estime dont jouissent les auteurs auprès de la RTS.
LH : C’est le meilleur des six Pactes à ce jour. Il se distingue des autres modèles d’encouragement. Des questions comme celle des droits d’utilisation, qui se posent depuis une dizaine d’années, sont enfin résolues. Et la situation juridique est une nouvelle fois harmonisée au niveau national ; avant, des règles différentes valaient pour la Suisse alémanique et la Suisse romande. C’était une préoccupation majeure des producteurs. Il est également positif que nous ayons désormais un montant minimal réservé aux productions de cinéma, au lieu d’un pourcentage, toujours relatif et donc incertain. Et le Pacte fait de la place aux séries ! Il est ouvert à tous les formats.

SW : Nous sommes parvenus à trouver une solution compacte qui satisfait toutes les parties. Il est évident que dans quatre ans, les choses seront encore différentes. Peut-être qu’il faudra alors entièrement repenser l’encouragement au cinéma.

 

Sven Wälti, directeur du groupe d’experts du « Pacte de l'audiovisuel », responsable coproductions à la SSR,  membre du comité de Cinébulletin.
Lukas Hobi, p
roducteur et copropriétaire de Zodiac Pictures à Zurich, coprésident du Groupe d’intérêt des producteurs, a participé aux négociations.
Edgar Hagen, r
éalisateur bâlois (« Zeit der Titanen »), membre depuis 2010 du comité de l'ARF/FDS, a participé aux négociations du Pacte.

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