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Acteurs·rices: très régardé·e·s, mais mal récompensé·e·s

Kathrin Halter
22 septembre 2021

La nouvelle série «Neumatt» avec Rachel Braunschweig et Roeland Wiesnekker sur SRF1. © SRF/Pascal Mora

Les acteurs et actrices vivent généralement avec un bas niveau de revenu. C'est ce que montre l'étude du Syndicat Suisse Film et Vidéo (SSFV) sur leur situation en Suisse alémanique. L'étude, dont voici les principaux résultats, sera présentée au Festival de Zurich.

Le cinéma suisse a un problème de salaire. Après la présentation à Locarno de la deuxième partie de l’enquête de l’ARF/FDS sur la rémunération – généralement mauvaise – des scénaristes et des réalisateur·trice·s, c’est au tour des comédien·ne·s. Une enquête initiée par le SSFV a passé leur situation au crible. Et comme c’était le cas pour les professionnel·le·s du scénario et de la réalisation, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Principale conclusion de l’étude : mises à part quelques exceptions, exercer le métier de comédien·ne professionnel·le en Suisse signifie vivre avec le minimum vital : 58% des participant·e·s à l’enquête tirent un revenu annuel d’environ 30’000 francs de leur activité et pour le quart le plus bas, ce montant se situe à moins de 10’000 francs. Seuls 19% gagnent plus de 50’000 francs par année en exerçant leur métier. En conséquence, on constate une fragmentation des domaines d’activité et des sources de revenus. Pour survivre, il·elle·s sont nombreux·euses à prendre un deuxième emploi – ce qui impacte la flexibilité et la disponibilité nécessaires dans le domaine de l’art dramatique. Un vrai cercle vicieux.

L’enquête montre que 12% seulement du revenu moyen des comédien·ne·s proviennent d’engagements dans des productions de cinéma ou de télévision, loin derrière le théâtre qui représente 57% des revenus. Ce n’est pas surprenant quand on sait à quel point le marché suisse allemand* est petit pour les acteur·trice·s de cinéma – bien moins de films de fiction y voient le jour que de documentaires – même si le nombre de séries produites par la SRF aussi bien que par la RTS a augmenté depuis 2019. L’enquête comptabilise uniquement les engagements en Suisse. Les revenus réalisés à l’étranger ne sont malheureusement pas pris en compte. Mais cela ne changerait probablement pas grand-chose puisque les rôles principaux dans les grosses productions TV sont généralement réservés aux noms connus.

Conclusion : la majorité des comédien·ne·s inscrit·e·s en Suisse** disposent de trop peu de travail – même s’il n'est pas surprenant, pour une industrie du cinéma, qu’un certain nombre d’acteur·trice·s soient partiellement au chômage. A titre de comparaison, l’Allemagne compte quelque 22’000 comédien·ne·s enregistré·e·s.

Ursula Häberlin, coautrice de l’enquête et secrétaire générale adjointe du SSFV, estime qu’une augmentation des honoraires journaliers est indispensable au vu de la précarité de cette situation professionnelle. C’est la première fois que l’on peut s’appuyer sur des chiffres concrets : l’enquête révèle que le cachet journalier moyen, tous âges confondus, se situe à 1’343 CHF, soit en-dessous du montant recommandé par le SSFV pour les débutant·e·s (1’400 CHF), et nettement moins que celui préconisé pour les professionnel·le·s expérimenté·e·s (1’800 CHF). 26% des répondant·e·s gagnent même moins que 1’000 CHF par journée de tournage.

Le SSFV souligne, à juste titre, que la notion de « cachet journalier » porte à confusion. Effectivement, au jour de tournage à proprement parler s’ajoutent non seulement l’étude du rôle et le travail sur le scénario, qui peuvent durer plusieurs jours, mais encore les séances d’essayage et de maquillage et les répétitions. Il inclut même souvent la postsynchronisation du dialogue, soit jusqu’à un jour supplémentaire de travail. A cela s’ajoute la nécessité, pour l’acteur·trice, de bloquer plusieurs jours pour chaque jour de tournage afin de se tenir disponible dans le cas d’un éventuel changement de planning. Pour Ursula Häberlin, il est important de clarifier ces éléments pour y sensibiliser la branche. De nombreux·ses acteur·trice·s ont l’impression que leurs collègues dans les rangs de la réalisation et de la production ne se rendent pas vraiment compte du temps que leur demande effectivement leur discipline.

A la place des lignes directrices qu’il émettait jusqu’à présent concernant les cachets journaliers, le SSFV demande désormais l’instauration d’un barème contraignant comprenant trois niveaux indicatifs, soit un système analogique à celui des salaires indicatifs appliqué pour les métiers techniques. Des négociations sont en cours avec les associations de producteur·trice·s.

 

Discrimination à l’égard des femmes

Une conclusion particulièrement consternante de l’étude est la discrimination dont les femmes font l’objet. La rémunération des actrices pour leur travail dans une production pour le cinéma ou la télévision en 2018 et 2019 était inférieure de presque un quart (23,2%) à celle de leurs collègues masculins, ce qui équivaut à un cachet journalier moyen de 1’158 CHF contre 1’508 CHF pour les hommes. Elles sont aussi deux fois plus nombreuses que les hommes à toucher les rémunérations les plus basses.

L’étude met le doigt sur les causes de cet écart. Les femmes ont nettement moins de possibilités de négocier leur rémunération que les hommes (63% des actrices rapportent avoir été confrontées à une absence de disposition à négocier, contre 37% des acteurs). Elles se sont beaucoup plus souvent vu proposer des demi-cachets (pour des demi-journées), et elles ont en moyenne dû bloquer plus de temps par jour de tournage que les hommes. En plus, en comparant le nombre de jours de tournage, on constate une disparité au niveau de la quantité de rôles réservés aux deux sexes : alors qu’entre 2010 et 2019 la moyenne des jours de tournage par an dans le domaine du cinéma de fiction était de 47,9 pour les acteurs, elle n’était que de 30,1 jours pour les actrices.

Le pire, pour Ursula Häberlin, c’est que l’écart salarial n’a fait qu’augmenter entre 2010 et 2019 : « Les femmes ont un retard qu’elles ne pourront pas combler, et on constate que rien ne s’est amélioré. Cela engage aussi les organismes d’encouragement, puisque désormais, il est démontrable que la loi sur l’égalité est systématiquement enfreinte sur des films financés dans une large mesure avec de l’argent public. »

Ursula Häberlin souligne que la mauvaise situation financière des acteur·trice·s (ainsi que d’autres catégories professionnelles dans la branche) s’explique partiellement par le fait que trop de films mal financés voient le jour en Suisse. Autrement dit, il est nécessaire de revoir à la hausse les budgets globaux de sorte que tou·te·s les collaborateur·trice·s puissent être rémunéré·e·s correctement. Il ne faut pas que l’argent public finance des films qui produisent de la pauvreté – avec des conséquences désastreuses notamment pour la prévoyance vieillesse.

 

* Les participant·e·s à l’enquête étant presque tou·te·s issu·e·s de Suisse alémanique, ces constats valent pour la situation outre-Sarine – elle ne saurait être meilleure en Suisse romande ou au Tessin.

** La plateforme «schauspieler.ch» compte à elle seule 687 acteur·trice·s.

 

▶  Texte original: allemand

L'enquête

Lancée par le SSFV en décembre 2019, elle est disponible sur son site, se penche sur la période allant de 2010 à 2019. Les chiffres mentionnés ici concernent la période la plus récente, soit 2018 et 2019. L’association a contacté 125 membres du SSFV dans la catégorie professionnelle « acteur·trice de cinéma » ainsi que des centaines de personnes actives dans le domaine de l’art dramatique. En tout, 194 comédien·ne·s ont participé au sondage, dont 192 issu·e·s de Suisse alémanique. Le SSFV a évalué une première partie de l’enquête à l’interne, avant de mandater en octobre 2020 l’Institut de recherches économiques et sociales M.I.S. Trend pour une analyse exhaustive.

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